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Néron
(Lucius Domitius Claudius Nero)
« Néron était un sadique et un vicieux ! »
Durant près de deux mille ans et jusqu’au siècle dernier personne n’aurait osé remettre en question ce jugement définitif. Comment en effet trouver la moindre excuse à cet histrion qui s’exhibait en jupette dans les théâtres, gambettes à l’air, après avoir trucidé son frère, sa mère et deux de ses épouses ? Comment pardonner à cet incendiaire qui avait bouté le feu à sa ville puis avait, persécuteur démoniaque, fait porter le chapeau à de pauvres chrétiens, plus innocents que l’agnelet naissant, les utilisant en guise d’éclairage public ou les envoyant se faire boulotter par les lions des arènes ? Comment absoudre ce débauché qui, à peine débarbouillé du stupre d’orgies monstrueuses, avait consenti à devenir l’épouse soumise d’un de ses favoris avant de pousser le vice au paroxysme en convolant en justes noces avec un castrat à peine pubère ?…
Et les romanciers d’enrichir ce sombre tableau d’images baroques ou édifiantes, « quo-vadisant » à qui mieux mieux : beaux jeunes patriciens courageux, sauveteurs résolus de jolies vierges chrétiennes en péril de vie et de vertu, contre un Néron bouffi, myope, couard et cruel !…
Et Hollywood de s’emparer du filon, rentabilisant, à grands coups de dollars et de cinémascope criard, l’empereur fou sous les traits d’un Peter Ustinov plus vrai que nature !…
Et puis…
Et puis, au XXe siècle, des critiques historiques moins partiaux s’intéressèrent enfin à Néron. Plus objectifs que leurs prédécesseurs, force leur fut de constater que les récits des historiens antiques, ces éléments fondateurs du dogme anti-néronien, ne constituent pas une documentation très « fiable » tant le parti pris pro-sénatorial y suinte, tant ils ruissellent d’hostilité à l’égard de la dynastie Julio-Claudienne. Accorder une confiance aveugle à ces véritables pamphlets pour connaître le fin mot du règne de l’empereur-artiste, cela reviendrait à étudier les « crimes capitalistes » des States uniquement via la propagande stalinienne. De plus, les textes de Tacite, Suétone et autre Dion Cassius, déjà foncièrement hostiles à Néron, furent copieusement trafiqués, interpolés, chipotés par des générations de copistes chrétiens acharnés à noircir la mémoire de Néron l’Antéchrist.
Alors, toute cette boue repérée, toutes ces scories détectées, on se mit enfin à douter de la réalité de certains crimes de l’empereur ; on en expliqua bien d’autres, et des bibliothèques entières de bouquins, plus érudits les uns que les autres, vinrent s’ajouter à une bibliographie déjà décourageante…
Aujourd’hui presque tout a été dit sur Néron… et son contraire ! Quel que soit le Néron que vous imaginiez, vous trouverez sans peine une « autorité » pour accréditer votre thèse ; quelque farfelue qu’elle soit. Depuis l' »histrion fou », persécuteur de Chrétiens de Daniel-Rops jusqu’au Saint Néron, cher à Jean-Charles Pichon, la palette est aussi variée que possible !
Dans le cadre de ces brèves notices, il m’est impossible d’entrer dans le détail de toutes ces controverses. Je me contenterai donc de donner un aperçu chronologique du règne de Néron aussi objectif que possible. Cependant, ce canevas chronologique ne m’empêchera pas de m’attarder – parfois même assez longuement – sur certains points qui m’intéressent davantage. D’autres aspects du règne de Néron seront éventuellement traités par la suite, au fil des desiderata des lecteurs, de mes propres disponibilités ou de renseignements intéressants glanés çà et là.
Cette page risque donc d’évoluer fréquemment en s’enrichissant de nouveaux chapitres. Je ne manquerai pas de vous faire part de ces éventuelles modifications dans la page réservée à cet effet (Page : Quoi de IX ?)
Pour clôturer cette « notice évolutive », une page (Clic !) sera consacrée à quelques beaux livres, histoire et fiction, consacrés à Néron, ainsi, naturellement, qu’à de nombreux liens concernant ce très médiatique empereur.
Naissance, le 15 décembre à Antium (baie de Naples) de l’enfant que l’on connaîtra sous le nom de Néron. C’est le fils de Gnæus Domitius Ahenobarbus et d’Agrippine la Jeune, donc le neveu de l’empereur Caligula. Ce petit Lucius Domitius Ahenobarbus est également, par sa mère, un descendant direct d’Auguste et d’Antoine (voir Tableaux généalogiques).
Commentaire (très apocryphe) de l’heureux père : « D’Agrippine et de moi, seul un monstre peut naître ! ». Quant à la tendre maman, lorsque des astrologues lui prédisent que l’enfant nouveau-né ceindra le bandeau impérial, mais qu’il assassinera sa propre mère, l’impérieuse matrone répond sèchement : « Qu’il me tue, pourvu qu’il règne ! ».
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Agrippine est condamnée à l’exil pour avoir conspiré contre son frère, l’empereur Caligula
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Usé par une vie de patachon, Gnæus Domitius Ahenobarbus meurt. Son fils, le petit Lucius (futur Néron), désormais orphelin de père (sa mère est toujours exilée loin de Rome), est recueilli par sa tante (sœur de son père) Domitia Lepida. Cette dame, aux mœurs fort peu recommandables, néglige l’éducation du fils de feu ce frère (trop) chéri : elle le confie aux bons soins d’un coiffeur et d’un danseur.
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Le 24 janvier, Caligula est assassiné. Avènement de Claude, frère de Germanicus, donc oncle d’Agrippine (Voir tableau généalogique). Celle-ci rentre à Rome et commence à conspirer contre son oncle l’empereur. Le complot est éventé, et Julia Livilla, sœur d’Agrippine, ainsi que le philosophe Sénèque, son amant, sont exilés.
Agrippine a senti passer le vent du boulet. Elle épouse un certain Crispus Passienus et fait mine de se ranger.
Jusqu’en 49 ap. J.-C., on ne sait presque plus rien du petit Lucius (futur Néron). Il est probable que l’enfant quitta la maison de sa tante pour rejoindre sa mère dans son nouveau foyer et, à partir de ce moment, bénéficia d’une éducation princière : « Dans son enfance, il s’adonna à toutes les connaissances libérales, écrit Suétone (Vie de Néron, LII). Mais sa mère le détourna de la philosophie parce qu’elle jugeait que cette discipline ne convenait pas à un homme appelé à gouverner l’Empire ».
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Août – septembre.
L’épouse de César ne peut être soupçonnée, dit-on. Pourtant, à ce qu’il paraît, Messaline, l’impératrice en titre, ne mène pas la vie exemplaire que l’on serait en droit d’attendre de la femme d’un César. Tandis que l’empereur Claude, en butte à la risée de tous, semble faire montre d’une surprenante complaisance, les partouzes, vraies ou supposées, de sa jeune épouse scandalisent la Ville et la Cour qui, pourtant, en ont bien vu d’autres.
La mère de Néron pense que le moment est venu de prendre la place de Messaline. Elle s’abouche avec certains ministres de l’empereur qui craignent l’influence grandissante de Messaline sur son mari, et un « piège à con » est tendu à la pauvre impératrice. Elle y tombe aveuglement et est suicidée allègrement.
Pour Agrippine, la « Voie royale » est ouverte… Elle est d’autant plus dégagée, cette voie, qu’entre-temps, l’ambitieuse matrone s’est fort opportunément (et de manière fort suspecte), débarrassée de son Passienus de mari.
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Les Sénateurs serviles s’étant fendus d’une loi autorisant les mariages entre oncles et nièces jusque-là considérés comme incestueux, Agrippine la Jeune peut légitimement convoler en justes noces avec son tonton l’empereur Claude. (Janvier).
Son premier geste est de faire revenir son grand ami (ou amant) Sénèque de son exil dans l’Île de Beauté (Corse) pour lui confier l’éducation de son fils. À ce nouvel Alexandre le Grand, il faut le nouvel Aristote !
Dès la fin de l’année, Agrippine reçoit le titre d’Augusta, un honneur que, jusqu’alors, seule Livie, l’épouse très chérie d’Auguste, avait reçu… mais la première des Augusta, elle, n’avait été autorisée à porter ce nom sacré qu’après la mort de son divin époux !
Cette même année 49, le jeune Lucius (Néron) est fiancé à Octavie, fille de Claude.
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Le 25 février, Claude adopte le fils d’Agrippine. C’est à partir de ce moment que le jeune Lucius Domitius Ahenobarbus devient Tiberius Claudius Nero, notre Néron. Plus tard, il s’appellera Nero Claudius Cæsar Drusus Germanicus.
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Le 4 mars, Néron revêt la toge virile.
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Néron épouse sa fiancée Octavie, cette cousine qui était devenue sa sœur légale. On n’en était plus à un inceste près !
Le marié a seize ans, la mariée douze.
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Seule l’agaçante survie de l’indéboulonnable Claude entrave encore l’accession au trône de Néron, descendant direct d’Auguste et d’Antoine (voir Tableaux généalogiques), maintenant majeur, marié et bien cornaqué par Sénèque.
Pendant ses cinq ans de vie commune avec Claude, Agrippine s’est progressivement emparée des rouages essentiels de l’État. Elle a réduit l’influence des ministres restés fidèles à l’empereur et acheté la loyauté des autres. Surtout, elle a judicieusement fait nommer son ami Burrus à la préfecture du Prétoire, ce qui lui garantit, à elle et à son fils, la fidélité des seules troupes combatives de la Ville
Tout est désormais en place pour que le jeune Néron monte sur le trône. Les heures de Claude sont comptées : le citron a été pressé jusqu’à la dernière goutte, il ne reste plus qu’à jeter l’écorce. Avec la saison des champignons, le moment favorable arrive : Claude qui en raffole, en bâfre goulûment une énorme platée… sans se rendre compte qu’une amanite mortelle s’est glissée au milieu des innocents bolets. Le vieil empereur meurt d’un « accident gastronomique ». (13 octobre 54).
Il suffit alors au jeune Néron de paraître devant les Prétoriens enthousiastes pour être reconnu empereur. La propagande d’Agrippine, amie intime de leur Préfet Burrus, a convaincu la plupart des soldats, et une gratification substantielle permet de rallier les hésitants. L’acte de ratification du Sénat n’est plus qu’une formalité.
Quand il monte sur le trône, Néron a dix-sept ans. Il règne, mais ne gouverne pas ; le pouvoir est tout entier aux mains de sa mère Agrippine. Occasionnellement, histoire de ne pas heurter leur susceptibilité masculine, la mère de l’empereur demande quand même quelques petits conseils à ses amis très chers, le philosophe Sénèque et le Préfet du Prétoire Burrus…
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Janvier : L’influence d’Agrippine diminue sensiblement au profit de celles de Sénèque et Burrus qui tentent de réconcilier le régime avec la majorité conservatrice du Sénat.
Le 13 février, Britannicus, fils de Claude et demi-frère de Néron, atteint sa majorité civile (14 ans révolus). Peu de temps après, il meurt.
Si l’on en croit l’historien Tacite, Néron, irrité de la popularité croissante de Britannicus, se serait résolu à se débarrasser de lui. Une première tentative d’empoisonnement ayant échoué – le poison s’étant avéré trop peu puissant – l’empereur aurait commandé à la célèbre empoisonneuse Locuste un toxique foudroyant. Il fut administré à Britannicus au cours d’un grand banquet. D’abord, on servit au jeune prince une boisson inoffensive, qui avait d’ailleurs été préalablement goûtée par l’esclave préposé à cette tâche périlleuse. Mais le breuvage était bien trop chaud, et Britannicus demanda qu’on la tempère d’un filet d’eau fraîche. C’est là que se trouvait le poison mortel.
… Ses lèvres à peine en ont touché les bords,
Le fer ne produit pas de si puissants efforts.
(…) La lumière à ses yeux est ravie,
Il tombe sur son lit, sans chaleur et sans vie.
Jugez combien ce coup frappe tous les esprits :
La moitié s’épouvante et sort avec des cris ;
Mais ceux qui, de la cour, ont un plus long usage
Sur les yeux de César composent leur visage.
Cependant, sur son lit, il demeure penché ;
D’aucun étonnement, il ne paraît touché :
« Ce mal dont vous craignez, dit-il, la violence
A souvent, sans péril, attaqué son enfance »
(Racine, Britannicus, V, 5)
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Et de fait, Britannicus souffrait d’épilepsie… D’ailleurs, aujourd’hui, bien des historiens estiment que c’est ce mal, et non un quelconque poison, qui fut responsable de la mort du fils de Claude.
Les poisons utilisés dans l’Antiquité étaient certes fort efficaces, mais toujours très lents. Et puis, faut-il vraiment croire sur la parole cette mauvaise langue de Tacite et son invraisemblable récit ? Alors que l’écuelle de champignons toxiques fatals à l’empereur Claude n’avait pas encore eu le temps de refroidir, que « l’accident gastronomique » du père de Britannique était encore présent à l’esprit de tous, et que les mesures de sécurité devaient être plus renforcées que jamais, comment un broc d’eau douteuse aurait-il pu être servi à la table impériale sans avoir subi l’épreuve d’un goûteur professionnel ? Et pourquoi Néron aurait-il pris le risque de tuer son frère coram populo, au su et au vu de tout le monde, lors d’un banquet officiel ? Pourquoi susciter un scandale public alors que l’empereur aurait très aisément pu arriver au même résultat, mais d’une manière bien plus discrète. Même l’inconséquent Tacite prend grand soin de nous préciser (Annales, XIII, 15) que « l’entourage immédiat de Britannicus n’avait ni foi ni loi, car on avait pris grand soin d’y pourvoir depuis bien longtemps » ! Or, si Britannicus vivait entouré d’espions à la solde de l’empereur, pourquoi celui-ci se serait-il « cassé la nénette » à concocter machiavéliquement un assassinat aussi alambiqué ? Il suffisait qu’un des « amis » de Britannicus soigne une de ses fréquentes crises d’épilepsie en appliquant un peu trop hermétiquement un coussin sur son visage, et on ne parlait plus du jeune frère de l’empereur !
Dans cette histoire, Néron fait trop évidemment figure de coupable idéal. Sa mère Agrippine, n’ambitionnait-elle pas de jouer la carte de Britannicus contre lui ? Afin de recouvrer l’intégralité de ses prérogatives, ne songeait-elle pas à l’éliminer, lui, le fruit de ses entrailles, et à couronner son fils adoptif, ce jeune Britannicus si malingre et maladif, mais si populaire ?
D’accord !… Mais, à cette époque, Néron devait encore asseoir son autorité face à de redoutables adversaires (sa propre mère, le Sénat, les affranchis du règne précédents). Dans cette optique, l’assassinat de Britannicus, dont il serait le premier suspect, risquait de lui coûter cette popularité, cette assise populaire qui lui était indispensable pour survivre physiquement et politiquement. Il est donc probable que l’empereur décida de ne pas intervenir et de « laisser faire la nature » : Britannicus de santé fragile, ne ferait sans doute pas de vieux os. Mieux valait ne pas offenser les dieux par un fratricide…
Cependant, si l’on tient mordicus à la thèse de poison, il existe une autre possibilité, encore plus machiavélique : Agrippine, après avoir menacé son fils de lui susciter un rival en la personne de Britannicus, aurait fait assassiner celui-ci. Et puis, dégoulinante de cynisme, serait venue réclamer à son fils le salaire de son crime. Quelque chose du genre : « Que ferais-tu sans moi, mon pauvre petit Lucius ? C’est pour toi, pour que tu montes sur le trône, que j’ai déjà expédié ce vieux cochon de Claude les pieds devants. Et quelle fut ma récompense pour ce signalé service ? Rien que de l’ingratitude ! Maintenant, c’est ton dernier rival que je viens de te sacrifier, ce Britannicus qui était aussi mon dernier atout, mon assurance-vie, mon bâton de vieillesse. Alors, puisque je viens de sceller notre alliance et notre amour éternel avec le sang de ton encombrant frangin, j’espère tu vas me restituer cette place à tes côtés, cette place qui me revient de droit en tant qu’arrière petite-fille d’Auguste et que tu es en train de me rogner en catimini, mais que pourtant tu me dois et me devras éternellement, car, sache-le une bonne fois pour toutes : mon débiteur tu es, et tu le resteras à jamais ! ».
En assassinant Britannicus, Agrippine aurait fait d’une pierre deux coups. Tout d’abord – et c’était toujours ça de pris ! – jamais plus le fils de Claude ne pourrait venger la mort de son père. Ensuite, elle prenait des gages sur l’avenir en rendant un fier service à son cher Néron qu’elle débarrassait de son dernier rival. Mais – et c’était là qu’était l’astuce – tout en faisant mine d’assurer le pouvoir de son fils, elle compromettait discrètement celui-ci. Car qui croirait jamais à l’innocence de Néron, principal bénéficiaire du crime ?
C’est peut-être « tiré par les cheveux », mais un tel cynisme ne me paraît pas invraisemblable de la part d’une femme telle qu’Agrippine.
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Néron subit l’influence positive de Burrus et de Sénèque. Le règne s’annonce sous de très heureux auspices.
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Néron envisage de transformer le système fiscal romain. Devant l’opposition virulente des Sénateurs, il se voit contraint de renoncer à ces réformes.
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Début de la liaison de Néron et de Poppée.
Poppée, la plus belle femme de Rome, est aussi la maîtresse (ou l’épouse, on ne sait pas exactement) d’Othon, le futur empereur, qui, lui, est sans doute l’ami le plus cher (dans tous les sens du terme) de Néron.
Othon vante à son impérial copain les charmes de sa jolie petite amie (ou charmante petite femme). L’empereur insiste pour s’en rendre compte de visu… et ce qui doit arriver arrive : le maître du monde romain tombe amoureux fou de la maîtresse de son meilleur ami.
Mais Poppée est non seulement prodigieusement jolie, mais aussi extraordinairement ambitieuse : la fieffée coquine se refuse au Maître du monde romain tant qu’Othon n’aura pas débarrassé le plancher et que Néron ne lui aura pas promis solennellement le mariage. Néron, pris dans les rets de la belle intrigante, tente de convaincre son pote Othon de s’effacer. Celui-ci, peu soucieux de jouer le rôle d’un nouvel Amphitryon, renâcle. L’empereur commence à la trouver saumâtre : il tempête, menace. Finalement, le meilleur ami de Néron cède, mais est puni de sa mauvaise volonté par un exil en Lusitanie… autant dire au Diable Vauvert ! (sur les relations entre Othon et Poppée : Clic !)
La voie étant libre, les deux tourtereaux peuvent roucouler à leur guise. Mais, pour la bague au doigt, Poppée devra encore attendre, car, même s’il n’a jamais pu consommer cette union qu’il estime incestueuse, Néron est toujours très officiellement marié à Octavie, et celle-ci, encore très populaire à Rome, est, pour l’instant, absolument intouchable…
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Quant à Agrippine, elle n’est guère satisfaite – et c’est un euphémisme – du coup de béguin de son fils pour Poppée. Comment pourrait-elle supporter qu’une autre femme menace ses prérogatives, tant au Sénat que dans le lit de son impérial fiston ? Comment pourrait-elle envisager d’un cœur léger que cette pouffiasse de Poppée prenne le pas sur une honnête et digne matrone comme elle. Comment pourrait-elle accepter que cette traînée, avec ses cheveux d’or, son teint d’albâtre, ses seins d’ivoire, ses cuisses de nymphe et son expérience de courtisane de haut vol, lui ravisse le titre de première dame de l’Empire ainsi que sa confortable place sur le trône des Césars, juste à côté de son bon gros Néron ? Elle avait accepté d’un cœur relativement serein – il faut bien que jeunesse se passe et que gourme se jette ! – la liaison de son fils avec Acté. Celle-ci n’était qu’une petite esclave grecque, effacée, discrète et totalement dénuée d’ambition politique ! Mais Poppée, c’est autre chose ! Elle, c’est une vraie garce, et, qui plus est, une garce dangereuse !
Notons aussi que, d’après saint Jean Bouche d’Or (Chrysostome) la gentille et fidèle Acté aurait été chrétienne, tandis que cette peste de Poppée se serait convertie au judaïsme… Mais n’allez pas pour autant taxer saint Jean Bouche d’Or d’antisémitisme… Qu’iriez-vous supputer là !
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Fin mars : Néron fait tuer sa mère, Agrippine « la Jeune ».
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C’est à ce moment que les thuriféraires de Néron se taisent, gênés… Car comment excuser un matricide ? L’être qui prémédite longuement et concrétise froidement l’assassinat de sa génitrice ne viole-t-il pas tous les tabous, toutes les lois naturelles ? À priori, rien ne semble pouvoir justifier, rien ne semble devoir excuser ce crime contre-nature, le matricide monstrueux du monstre Néron !
Et pourtant…
Bien sûr, les faits eux-mêmes et l’horrible crime de l’empereur, ne sont pas contestables, ni d’ailleurs contestés.
Néron, artiste jusqu’au bout des ongles, tente d’abord de mettre en scène le meurtre de sa mère afin qu’il ressemble à un accident. Un bateau truqué est même construit à cet effet. Il tombera en morceaux et coulera à pic dès que lui et sa plus illustre passagère se seront suffisamment éloignés du rivage. Et tout semble se passer comme prévu : la mère de Néron monte à bord du bateau piégé qui s’éloigne à force rame. Parvenue à l’horizon, l’embarcation tombe en pièces détachées, sabordée par l’équipage qui s’enfuit dans des chaloupes. Le navire coule à pic. Agrippine, elle aussi, prend l’eau. Elle veut appeler à l’aide. Une de ses dames de compagnie la devance : épouvantée, la servante s’écrie : « Help ! Aidez-moi ! Sauvez votre impératrice ! ». Pas de chance ! L’équipage revient dans sa chaloupe et assomme la malheureuse à coups de rame. Voyant cela, Agrippine comprend tout ! Elle sait désormais que ce naufrage n’est pas accidentel et qu’elle ne peut compter que sur elle-même. Animée par l’énergie, non du désespoir, mais de la haine, et par un instinct de survie exceptionnel, elle se débarrasse de ses lourds vêtements d’apparat et se met à nager en direction du rivage. Sportive la bougresse ! Elle atteint la plage, se fait reconnaître par des pêcheurs et emmener dans sa villa. Là, elle peut récupérer ses forces, rassembler ses esprits et méditer sa revanche.
Quelques heures après l' »accident » manqué, un des plus fidèles esclaves d’Agrippine se présente à la résidence impériale d’Antium, où Néron attend impatiemment le résultat de sa belle machination. L’homme insiste vivement pour être reçu par l’empereur, personnellement et de toute urgence. On l’y mène. Devant Néron, le serviteur d’Agrippine prononce quelques mots du genre : « Rassure-toi, ô César ! Il y a eu un léger accident, mais ton auguste maman se porte comme un charme. Elle te fait d’ailleurs parvenir ce billet doux ! ». À peine a-t-il le temps d’esquisser le geste de prendre l’hypothétique missive, qu’une escouade de gardes se précipitent sur lui, le maîtrisent, et, au lieu de la prétendue lettre, extraient de sa tunique un poignard acéré.
Tentative désespérée d’Agrippine ou mise en scène néronienne ?
Quoi qu’il en soit, Néron hésite sur les dispositions à prendre à l’égard de sa mère. Faut-il l’épargner ou l’achever ? Finalement, c’est le « brave » philosophe Sénèque, en l’occurrence fort soucieux d’éviter le retour au pouvoir de la mère d’un prince, cette ancienne alliée (voire plus) devenue sa plus dangereuse rivale, qui emporte le morceau à coups de jolis sophismes. Des soldats en armes sont envoyés à la résidence d’Agrippine. Ils la trouvent au lit, en train de se remettre de ses émotions, mais nullement étonnée de leur irruption. Elle ne se fait plus aucune illusion. « Frappez au ventre ! », dit-elle en se dévoilant. Ils s’exécutent, la lardent de coups puis tranchent la tête de leur auguste victime, preuve de l’heureux succès de leur mission. Fin d’Agrippine « la Jeune ».
À la lecture de ces notices, vous aurez sans doute compris que je n’accorde pas automatiquement foi à tous les jugements moraux des historiens antiques, si souvent entachés de virulents partis pris. Je ne pense pas, par exemple, que Tibère fut aussi cruel, Caligula aussi fou ou Néron aussi monstrueux que le rapportent leurs biographes romains ! Cependant, en ce qui concerne Agrippine, je crains bien que le portrait de Suétone et Tacite, bien qu’extrêmement défavorable, ne soit encore trop indulgent.
En effet, la vie de la mère de Néron, c’est un véritable mélo. Entre Sade et Xavier de Montépin ! Un vrai roman susceptible à la fois de « faire pleurer Margot » et d’offrir aux auteurs antiques tous les ingrédients d’une version romaine des « Infortunes de la Vertu », où Agrippine tiendrait le rôle d’une Justine romaine, éternellement vertueuse et éternellement malheureuse… Il n’était même pas nécessaire d’inventer des craques ! Il suffisait de donner une interprétation partisane aux faits réels pour obtenir la satire impitoyable des mœurs corrompues de ces tyrans fous et sanguinaires que furent les premiers Césars.
Voici ce qu’aurait pu donner ce mélo « basé sur une histoire vraie », mais adapté aux fins d’une propagande anti-impériale :
Y’avait une pauf’ gosse qui s’appelait Agrippine, c’est dire si elle n’avait pas de chance ! Son père, le grand général Germanicus mourut alors qu’elle n’avait que quatre ans, empoisonné par Livie, une virago qui avait épousé son arrière grand-père, l’empereur Auguste. Ensuite, son grand-oncle, l’empereur Tibère, un vicelard jaloux et sournois, persécuta tout ce qu’il lui restait de famille : sa mère et ses frères furent exterminés comme de la vermine. Les uns moururent en exil sur des îles désertes, les autres dans de sombres cachots humides, grouillant de rats et de moisissures grosses comme des chats. Quand le cruel Tibère mourut enfin, étouffé sous les coussins de son lit d’agonie par son successeur Caius-Caligula, seul frère survivant d’Agrippine, la jeune orpheline espéra que l’accession au trône de ce frère chéri signifierait la fin de ses souffrances. Hélas, le frérot Caligula était un monstre pervers ! Il déflora sauvagement ses deux plus jeunes sœurs Drusilla et Livilla tandis qu’Agrippine se voyait forcée, quasiment le couteau sur la gorge, d’épouser Domitius Ahenobarbus, un véritable taré, un sadique congénital. La courageuse Agrippine tenta alors de détrôner son frère, mais cet empereur dégénéré éventa le complot et, après avoir violé Agrippine, sa propre sœur, il l’exila dans des contrées sauvages.
Caligula enfin liquidé, Agrippine ne revint d’exil que pour subir un nouvel inceste : d’anciens esclaves que la faveur injustifiée d’un prince gâteux avait rendus tout-puissants, la vendirent à son vieil oncle, l’empereur Claude. Pendant cinq longues années, elle fut contrainte de subir avec résignation toutes les cochoncetés dégradantes de ce vieux porc lubrique.
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Nous ne reviendrons pas sur la fin de l’histoire d’Agrippine, éventrée sur son lit de douleurs par des soudards à la solde d’un fils ingrat et monstrueux…
Vous voyez, simplement au prix d’une « mise en perspective partiale » de l’histoire de sa vie, la fille de Germanicus pouvait devenir la figure emblématique de la résistance courageuse à l’arbitraire impérial, à la fois symbole de l’innocence bafouée par ces injustes tyrans qu’étaient les Julio-Claudiens et celui de la vertu outragée par ces Sardanapales libidineux que furent les successeurs d’Auguste.
Or, les historiens antiques n’ont pas exploité ce filon en or. Pourquoi ?
Respect de la Vérité historique ? Laissez-moi rire… Malgré toutes leurs dénégations, de l’objectivité et de l’authenticité, Tacite et Suétone s’en souciaient comme de leur première toge ! Sous couleur d’une impartialité admirablement contrefaite, ils ne poursuivaient qu’un seul but : montrer, démontrer que les tous les empereurs qui avaient précédé les bons et braves Antonins du IIe siècle n’étaient que des fous, des tarés, des assassins, des monstres, des dégénérés. Et pour parvenir à cette fin, tout leur était bon ! Tout faisait farine avariée à leur moulin à sornettes !
Si les historiens romains n’ont pas exploité toutes les ressources de la biographie d’Agrippine pour leur propagande, c’est sans doute qu’ils ne pouvaient vraiment pas faire autrement : les méfaits d’Agrippine, son caractère démoniaque, son ambition forcenée étaient tellement notoires qu’il leur était impossible d’améliorer son image sous peine d’exhiber leur partialité, ou d’être accusés de révisionnisme grossier…
Voilà sans doute pourquoi Agrippine ne fut donc pas le monstre d’ambition, l’épouse criminelle, la mère incestueuse que décrivent Suétone et Tacite… Elle fut probablement pire ! Un démon femelle, un succube incarné !
Et si Néron devait répondre de ses actes devant une Cour d’assises d’aujourd’hui, le caractère « excessif » (ô doux euphémismes) de sa (très) chère et (trop) tendre maman lui permettrait probablement de bénéficier de certaines « circonstances atténuantes », voire d’une présomption de « légitime défense »… Même s’il reste vraiment difficile de comprendre un matricide, et plus encore de l’excuser.
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Néron organise la première édition des jeux quinquennaux, des spectacles « blancs », non sanglants. Cette tentative d’adoucir, de « civiliser » les mœurs romaines, passera littéralement « au-dessus la tête » des contemporains de l’empereur-artiste, déçus par ces ennuyeux spectacles. Les très moralistes historiens antiques y verront le signe irréfutable d’un affadissement des traditions romaines, une « féminisation », un tragique renoncement aux vertus « viriles ». Quant aux écrivains chrétiens, ils garderont sous le boisseau cette aversion du sang très gênante chez Néron, leur « tête de Turc » favorite.
En Bretagne, éclate un grand soulèvement. Il est dirigé par Boudicca (ou Boadicée), la reine des Icènes. La cause présumée de la révolte quasi générale des tribus bretonnes : le viol collectif de cette haute dame ainsi que de ses filles par des légionnaires romains en goguette. C’est possible, mais cette anecdote cristallise surtout la dureté (assez inhabituelle) des troupes d’occupation à l’égard de la population indigène. Spoliations, brutalité, réquisitions arbitraires n’avaient été que trop mollement réprimées, voire secrètement encouragées par le gouverneur romain Decianus Catus… et tout cela finit par lui exploser à la figure !
Suite aux excès de l’administration romaine, nombre de tribus se fédèrent donc sous la conduite de Boudicca et parviennent presque à bouter les Romains hors de Bretagne. Colchester (Camulodunum), capitale administrative de la province est assiégée, et Londres (Londinium), la principale place-forte, est prise et incendiée.
Finalement, les légions romaines ne tiendront plus que le Sud-Ouest de l’île. Mais, heureusement pour la pérennité de l’occupation romaine en Bretagne, les légionnaires se ressaisiront. En 63, Boudicca et ses tribus révoltées seront finalement vaincues par le général Suetonius. Boudicca s’empoisonnera au terme de la bataille, mais cela n’empêchera une répression féroce, mais brève. L’envoi en Bretagne du procurateur Classicianus, homme pondéré et bienveillant à l’égard des autochtones – au terme de sa carrière, il souhaitera même se faire inhumer en Bretagne -, calmera définitivement les esprits et favorisera la réconciliation entre Bretons et Romains.
Avant la révolte de Boudicca, Néron avait sans doute songé un moment à abandonner la Bretagne, cette province qu’il estimait trop excentrique, ingouvernable, et peu rentable pour l’Empire. Seul le souvenir de son prédécesseur Claude, et la perte de prestige qui aurait résulté de cette évacuation, l’avaient empêché de mettre son projet à exécution. Naturellement, après cette épouvantable révolte et cette victoire si chèrement acquise, il devenait désormais impossible d’abandonner l’île sans perdre la face.
Paradoxalement, on peut donc penser que c’est grâce à la révolte de Boudicca (ainsi, qu’à la modération du procurateur Classicianus et de ses successeurs, naturellement) que la Bretagne devint l’une des plus belles réussites de la « romanisation ».
62
Printemps : mort de Burrus… peut-être empoisonné par Néron, comme le sous-entendra cette mauvaise langue de Tacite (Annales, XIV, 51), mais plus probablement d’une mort naturelle.
Pour remplacer Burrus, l’empereur nomme Tigellin au poste de Préfet du Prétoire. Cependant, comme il se méfie de ce parvenu ambitieux, totalement dénué du moindre du scrupule (et qui, plus est, foncièrement dépourvu de toute sensibilité artistique), il réduit ses pouvoirs en désignant un second Préfet en la personne de Fænius Rufus.
Également à l’époque de la mort de Burrus, le philosophe Sénèque s’éloigne peu à peu de la cour impériale. « La gloire n’est que vanité, l’argent n’est que boue, et la politique ne m’intéresse plus ! Je suis fatigué du remue-ménage de la cour et ma modestie souffre terriblement de la vénération que me voue l’empereur. À mon âge, je n’aspire plus qu’au repos » susurre à qui veut l’entendre ce richissime vaniteux cupide qui a poussé le pharisaïsme philosophique à son point culminant. En fait, l’habile Sénèque prend progressivement ses distances envers un Néron qu’il contrôle de moins en moins et dont il désapprouve la politique hellénisante pour se rapprocher du parti sénatorial traditionaliste.
Toujours au début de l’année, Néron se décide enfin à répudier son épouse Octavie.
Ce mariage n’avait jamais signifié grand-chose aux yeux du Prince. Personnellement, il n’avait jamais pu encaisser cette gamine malingre que son abominable mère lui avait imposée pour asseoir ses propres ambitions. Il est même douteux que cette union fût jamais consommée.
Cependant, même si Néron n’avait aucun « atome crochu » avec Octavie, il ne nourrissait pas assez de ressentiment à son égard pour machiner son élimination physique. Au lieu de recourir aux services d’une Locuste pour se débarrasser en catimini de sa fastidieuse moitié, Néron préféra la répudier publiquement.
D’une certaine façon cette magnanimité (ou cette pusillanimité, si l’on veut) fut une erreur, car, dès que la nouvelle du divorce fut connue, l’insignifiante Octavie devint un symbole politique. Croyant bien faire, et surtout faire le plus de tort possible à l’empereur, tous les mécontents du régime prirent parti pour la pauvre princesse délaissée. Dans les rues, on pleurait sur les malheurs de cette petite orpheline, et l’on couronnait de fleurs ses statues.
Ce concert de louanges et lamentations hypocrites (car tous ces gueulards se fichaient d’Octavie comme de leur première tunique : il s’agissait seulement d’insulter Néron) signait bien évidemment l’arrêt de mort de l’ex-épouse de l’empereur. Comment celui-ci aurait-il pu tolérer ces manifestations hostiles qui mettaient en cause la légitimité même de son pouvoir ?
Des soldats furent envoyés sur l’île de Pandateria où Octavie avait été exilée. Ils s’emparèrent de la malheureuse princesse, la lièrent sur son lit, lui ouvrirent les veines, puis, voyant que le sang s’écoulait trop lentement, ils jetèrent leur victime dans un bain bouillant où elle mourut étouffée.
Pour corser encore ce récit déjà passablement horrifique, l’historien Tacite prétend qu’on trancha tête d’Octavie et que Néron l’offrit à Poppée, sa nouvelle épouse, en guise de cadeaux de noces.
Personnellement, j’ai quelques peines à gober ce mélo grand-guignolesque et sanglant ! Après tout, il n’assistait pas au crime, le bon Tacite ! Comment diable aurait-il appris tous ces détails ? Aurait-il reçu les aveux des bourreaux en mal d’épanchement ? Improbable…
L’assassinat d’Octavie étant justifiable sinon excusable, ce qui demeure particulièrement écœurant dans cette affaire, ce sont les efforts que Néron et son entourage déployèrent pour forger de toutes pièces des preuves qui accablaient l’épouse déchue. Toutes ses servantes furent sadiquement torturées par le préfet du Prétoire Tigellin – qui était loin d’être un tendre – afin qu’elles avouassent l’inconduite de leur maîtresse. En vain. L’une de ces courageuses femmes, attachée au chevalet de torture, lança même à son tortionnaire, l’infâme Tigellin dont les préférences sexuelles étaient la fable de Rome : « Le sexe d’Octavie est plus pur que ta bouche ! ».
Faute d’obtenir les aveux des esclaves d’Octavie, Néron aurait alors demandé à son ami Anicetus, celui-là même qui s’était chargé de l’exécution d’Agrippine, de lui rendre un grand service en avouant qu’il avait été l’amant de l’impératrice. Moyennant un considérable pécule, la garantie de la vie sauve, et la libre disposition d’une coquette villa en Sardaigne où il pourrait terminer paisiblement sa vie, à l’abri de tout besoin, Anicetus reconnut bien volontiers cette faute qui, en ce qui le concernait, ne fut sanctionnée que comme s’il s’agissait d’une aimable fredaine, mais devint un crime abominable pour justifier l’assassinat de la malheureuse princesse !
Octavie mise définitivement hors-jeu, Poppée, cette fieffée coquine, parvint enfin à ses fins. Elle put très officiellement partager le trône de son impérial époux… Pour son lit, elle s’y était déjà fourrée depuis belle lurette ! Bien vite, en récompense de ses bons et loyaux services, elle reçut le titre d’Augusta (= impératrice sacrée).
63
Janvier : Poppée donne naissance à une fille, Claudia Augusta. En mai, cet enfant meurt, son père Néron, inconsolable, l’élève au rang des divinités.
Rupture entre Néron et Lucain, neveu de Sénèque. L’empereur lui interdit de lire en public son poème épique, la Pharsale, une œuvre qui glorifie l’esprit républicain.
Une petite parenthèse :
Dans son très décapant Saint Néron, Jean-Charles Pichon émet l’hypothèse que Lucain et l’évangéliste Luc ne faisaient qu’une seule personne. Ce ne serait pas la Pharsale dont Néron aurait interdit la diffusion, mais bien le « troisième évangile », l’Évangile « selon Luc(ain) ». D’après J.-Ch. Pichon, si saint Luc et Lucain n’étaient qu’un seul homme, cela expliquerait pourquoi le poète latin fut considéré par Gerbert d’Aurillac, le savant pape de l’An Mil, ainsi que par Dante, l’auteur de la Divine Comédie, comme un prophète chrétien, comme un inspiré de Dieu ; des titres auxquels son poème de la Pharsale, « officiellement » seul ouvrage de Lucain, ne lui permettent pas de prétendre.
Quoique cette thèse me paraisse à première vue un peu « tirée par les cheveux », je me garderai bien de prendre position à ce sujet. Je me permettrai simplement d’ajouter que parmi les écrits apocryphes, une correspondance entre saint Paul et Sénèque nous a été conservée. Naturellement, ces lettres, d’un contenu particulièrement anodin, sont des faux grossiers, de « pieux mensonges » de la propagande chrétienne. Cependant, il est permis de penser que cet apocryphe ne fut pas forgé de toutes pièces ; qu’en fait, il aurait remplacé une correspondance bien réelle entre le philosophe stoïcIen et l' »Apôtre des Gentils », mais nettement plus compromettante pour ce dernier. Dans ce cas, on pourrait supposer que Lucain, neveu de Sénèque, avait certainement déjà entendu parler du Christ. Mais, à mon avis, il est difficile de pousser les spéculations plus avant.