Hadrien

117 – 138
Hadrien

(Publius Ælius Hadrianus)

hadrienÀ la mort de son père, Hadrien, pauvre petit orphelin, devint le pupille et l’héritier présomptif de Trajan. De fait, l’empereur était son plus proche parent. S’il faut expliquer ces liens de parenté et comme ces généalogies sont un peu compliquées, simplifions en disant qu’Hadrien et Trajan avaient les mêmes arrières grands-parents. De plus, Hadrien épousa Sabine, la petite-nièce de Trajan. (Voir Tableau généalogique)

Hadrien, chaperonné par un empereur-soldat comme Trajan, ne pouvait que recevoir une solide formation militaire. Cet intellectuel fut donc parachuté dans des légions casernées dans les coins les plus perdus de l’Empire. Sur les frontières du Rhin et du Danube, par exemple, où il exerça les fonctions de tribun militaire. Il accompagna ensuite Trajan dans sa campagne contre les Parthes.

À la mort de Trajan (117), Hadrien (41 ans) n’était toujours que l’héritier présomptif de l’empereur décédé. Méfiance ou superstition, le brave Trajan n’avait pas désigné officiellement de successeur. Cette omission funeste ne pouvait que provoquer des troubles.
Heureusement Plotine, veuve de Trajan et acquise depuis longtemps à la cause d’Hadrien – certains médisants personnages n’allèrent-ils pas jusqu’à susurrer que la digne matrone avait eu de coupables faiblesses pour ce grand garçon barbu – fit courir le bruit que Trajan, sur son lit de mort, avait adopté Hadrien.

Ce mensonge pieux légitima la prise de pouvoir d’Hadrien. Seul un complot, tramé par quatre sénateurs aussi séditieux qu’ambitieux vint menacer la paix intérieure de l’Empire. Cette tentative de coup d’état sénatorial fut réprimée rapidement et brutalement… ce qui servit aussi d’avertissement salutaire et prophylactique à un Sénat toujours prêt à contester les prérogatives impériales.

Contrairement à son prédécesseur et malgré sa formation toute militaire, le nouvel empereur avait peu de goût pour la guerre. Hadrien renonça donc à la politique impérialiste et expansionniste de Trajan. Des conquêtes de ce dernier, il ne garda que la Dacie et l’Arabie et abandonna les provinces les plus exposées (Arménie majeure, Mésopotamie).

Pour bien fixer les frontières, pour les protéger et délimiter clairement les limites de l’Imperium romanum, Hadrien renforça le « limes » germanique. En Grande-Bretagne, il fit construire une muraille (le « Mur d’Hadrien ») qui, de l’embouchure de la Tyne au golfe de Solway, protégeait les provinces romaines des invasions des Pictes d’Écosse.

Comme Hadrien n’avait pas le même respect du Sénat que son prédécesseur, il divisa l’Italie en quatre districts dont l’administration fut ôtée aux Sénateurs et confiée à quatre personnages consulaires (ex-consuls). Il promulgua aussi un « Édit perpétuel », vaste compilation de tous les édits existants, et qui, rédigé par le jurisconsulte Salvius Julianius, codifiait enfin le droit romain.

Au cours de son règne (117-138), Hadrien effectua cinq grands voyages touristiques qui furent autant de tournées d’inspections. Par exemple, des monnaies indiquent qu’il séjourna à Lyon vers 121-122., y fit construire un nouvel aqueduc et restaura le théâtre et l’amphithéâtre. Plus au Sud, à Nîmes, il édifia une basilique en l’honneur de son ancienne protectrice, l’impératrice-douairière Plotine.

Ces périples lui fournirent l’opportunité de se faire une idée plus juste de la situation de son Empire, des besoins de ses habitants, de l’état de l’armée et surtout d’assouvir sa vaste curiosité. Car Hadrien, même s’il était fasciné par l’hellénisme (on le surnommait « Graeculus », « le petit Grec ») n’était pas polarisé au point de négliger la diversité des cultures de ses vastes états.

Ce fut sans doute curiosité quasi universelle, trait de caractère étonnamment moderne, qui incita Marguerite Yourcenar à faire de cet autocrate de l’Antiquité le sujet, le personnage principal et l’auteur fictif des extraordinaires « Mémoires d’Hadrien », chef-d’œuvre d’introspection psychologique. En fait, Hadrien semble bien avoir écrit son « Autobiographie », mais cette œuvre ne nous pas été conservée.
En revanche, l’Histoire Auguste nous a conservé cette charmante – et très célèbre – poésie de l’empereur : « Animula vagula blandula… »
Amelette, vaguelette, mignonnette,
Très chère hôtesse de mon corps,
Et qui maintenant descend seulette
Dans des lieux livides et morts
Où jamais plus ne seras guillerette !

N’allons cependant pas croire qu’Hadrien, cet empereur qu’on a décrit comme « varius, multiplex, multiformis » (changeant, ondoyant, insaisissable) ne fut qu’un troubadour rêveur, ou encore que cet ami des arts grecs fut un « démocrate ».
Rien de tout cela ! Sous le règne de ce personnage pragmatique et autoritaire, les populations de l’Empire furent gouvernées d’une poigne de fer et les rébellions (en Maurétanie, en Grande-Bretagne et surtout en Judée – nous en reparlerons) réprimées sauvagement.

Contrôle strict du Sénat, centralisation de l’Empire, despotisme, des ingrédients qui ne favorisèrent pas la popularité d’Hadrien, d’autant plus que son homosexualité affichée scandalisait quelque peu les vieux Romains traditionalistes : il fit (ou laissa) déifier son favori, le bel Antinoüs, accidentellement décédé en Égypte, noyé lors d’une croisière sur le Nil.

Hadrien passa ses dernières années dans la villa (Villa Hadriana) qu’il s’était fait construire à Tibur et avait décorée des reproductions des plus belles œuvres d’art admirées au cours de ses voyages. À Rome même, l’empereur fit édifier le mausolée impérial (Moles Adriani) qui deviendra le Château Saint-Ange.

La révolte juive (judéo-chrétienne, christo-judaïque) des années 116-117, celle qui interrompit la guerre de conquête de Trajan en Perse et qui peut-être provoqua aussi l’apoplexie fatale de l’empereur, avait, en quelque sorte, inauguré le règne d’Hadrien. Une autre révolte en Palestine, la dernière, mais sans doute la plus grande et la plus dangereuse pour Rome, en marquera le terme.

On dispose de très peu d’informations sur ce qui s’est réellement passé en Judée entre les années 132 et 136. Il semble cependant que le projet d’Hadrien, qui voulait édifier une ville grecque à l’emplacement de Jérusalem, fut à l’origine du soulèvement.

Ce mouvement insurrectionnel aurait pris naissance au sein des communautés esséniennes de la Mer Morte, où un certain Rabbi Akiba et un nommé Simon Bar Kochba se seraient associés pour bouter les Romains hors de Terre Sainte. Ce Bar Kochba revendiquait le trône d’Israël au nom de son appartenance (réelle ou supposée) à la lignée de David. Son nom indique d’ailleurs aussi clairement son programme messianique (Bar Kochba = « Fils de l’Étoile ») que les paroles de Jésus quand il s’exclamait : « Je suis la racine et le descendant de David, l’Étoile brillante du matin » (Apocalypse., 22 : 16).
De là à supposer une filiation entre Jésus, descendant de David, Menahem, le révolté de 66 qui, lui aussi, se proclamait issu de la lignée de David, et notre Bar Kochba, fils de l’Étoile davidienne et dernier insurgé juif de Palestine, il n’y a qu’un pas…

Quoi qu’il en soit, après quelques succès initiaux, Bar Kochba, rabbi Akiba et leurs très nombreux partisans (on parle de 500.000 hommes mais il s’agit sûrement d’une exagération) furent contraints à se retrancher dans la place forte de Bétar, près de Jérusalem. et y succombèrent après un très long siège. Le Fils de l’Étoile tomba lors de l’ultime combat, tandis que rabbi Akiba était brûlé vif après avoir été longuement et horriblement torturé.

Hadrien, qui avait interdit qu’on célébrât la victoire contre les insurgés juifs, tant celle-ci avait été chèrement acquise, put alors donner libre cours à ses projets urbanistiques pour Jérusalem : à l’emplacement de l’antique ville sainte, complètement dévastée, s’éleva désormais la cité gréco-romaine d’Aelia Capitolina, strictement interdite aux Juifs.
La dernière révolte juive avait visiblement fait très peur à l’empereur. C’est sans doute pourquoi il prit une mesure une mesure radicale contre ce peuple « à la nuque raide » : il interdit totalement la religion hébraïque.

C’était là une mesure totalement inédite. En effet, la notion de « persécution religieuse » était totalement étrangère à ces superstitieux de Romains qui souhaitaient toujours garder de bonnes relations avec toutes les divinités de tous les peuples qu’ils gouvernaient… Et surtout avec ce Dieu unique d’Israël qui leur flanquait une frousse bleue.
Le très bizarre, inhabituel et exceptionnel édit « persécuteur » d’Hadrien à l’encontre de la religion juive sera d’ailleurs abrogé par son successeur Antonin, et ce dès la première année de son règne.

Une dernière chose « pour la bonne bouche » : les premiers historiens de l’Église chrétienne, très antisémites et très soucieux de se « racheter une conduite » envers l’Empire romain, prétendront que jamais au grand jamais, les Chrétiens ne participèrent à la révolter de Bar Kochba.
« Qu’allez-vous penser là, affirment-ils ? Au contraire, c’est cet affreux rebelle de Bar Kochba qui persécutait les Chrétiens ! Il faisait souffrir mille morts à ceux qui lui tombaient sous la main !… »
Il y a pourtant, certaines coïncidences compromettantes…

En 105-106, les armées de Trajan envahissent la Jordanie où les Chrétiens se sont réfugiés « autour des parents de Jésus »… Et le pape Évariste est exécuté à Rome.
En 116-117, une révolte juive, qui éclate sur les arrières de son armée, oblige Trajan à renoncer à ses conquêtes orientales… Et à Rome, le pape Alexandre Ier subit le martyre, ainsi d’ailleurs que saint Ignace, transféré à grands frais de sa ville syrienne d’Antioche, à deux pas du théâtre des opérations militaires, vers la capitale pour y subir le plus infâme des supplices.
Et enfin, en 135-136, juste au moment où les armées d’Hadrien écrasent la révolte de Bar Kochba, c’est au tour du pape Télesphore de « recevoir la couronne du martyre » à Rome.

Alors je dis : ou bien les juges Romains, particulièrement obtus, s’entêtaient à confondre les doux chrétiens avec les plus fanatiques des patriotes juifs, ou bien les Chrétiens étaient effectivement « partie prenante » à toutes ces révoltes messianiques.

Et comme les magistrats Romains n’étaient ni inhumains ni imbéciles…