98 – 117
Trajan
(Marcus Ulpius Trajanus)
trajan
Trajan était d’origine italo-espagnole : sa famille italienne était installée en Espagne depuis fort longtemps. Il fit carrière dans l’armée, fut nommé gouverneur de Germanie (en 96) avant d’être, l’année suivante, adopté par le vieil empereur Nerva et associé au pouvoir au titre de « César ».
À la mort de son père adoptif, son accession au trône s’effectua sans heurts tant sa simplicité séduisait la foule et tant étaient grands son dévouement à la chose publique ainsi que sa déférence envers le Sénat. Il est également vrai que c’était lui qui, en fait, tenait les rênes du pouvoir depuis de longs mois.
Excellent général, Trajan initia une politique de conquête. Cela flattait l’enthousiasme béat de la populace, mais surtout cela permettait de renflouer les caisses de l’État.
L’impérialisme forcené était presque devenu une nécessité pour Rome : un flux monétaire allant d’Occident vers l’Orient, continu, mais à sens unique, appauvrissait l’Empire. Dans un premier temps, les provinces occidentales, fournissant peu de produits à haute valeur ajoutée, et en grande partie importatrices de ces biens, manquaient cruellement de ressources financières tandis que l’Orient s’enrichissait. Puis, à leur tour, faute de contrôler les routes commerciales d’Asie centrale, ces provinces orientales manquaient de masses monétaires. La survie de l’empire était conditionnée par le rétablissement de l’équilibre budgétaire interne et de celui de la balance commerciale. C’étaient là des conditions sine qua non.
Comme pour bien des conflits modernes, des mobiles économiques déterminèrent donc la politique impérialiste de Trajan. Ses objectifs : accroître la réserve de métal précieux (butin, conquête de régions aurifères), protéger les routes commerciales intérieures et étendre l’Empire vers le riche Orient afin de prendre le contrôle des routes commerciales asiatiques.
Trajan, aux prix de dures campagnes, conquit la Dacie (110-102 et 105-107). C’en était bien fini de l’humiliant et ruineux tribut que le timoré Domitien avait payé aux Barbares daces. De plus, Rome s’assurait le contrôle de riches mines d’or.
En Orient, Trajan, en s’emparant de l’Arabie Pétrée (Jordanie actuelle – nous y reviendrons) protégea la route commerciale vitale qui reliait l’Asie mineure à l’Égypte. Ensuite il lança une vaste campagne contre les Parthes, l’ennemi héréditaire. Il annexa l’Arménie, l’Assyrie, la Mésopotamie. Ces conquêtes portèrent l’Empire romain à son extension maximale.
C’est au moment où il s’apprêtait à porter le coup de coup de grâce aux Parthes et, peut-être, restaurer l’ancien empire d’Alexandre le Grand, que des révoltes juives (judéo-chrétiennes, christo-judaïques) éclatèrent sur ses arrières et l’obligèrent à faire demi-tour. Dépité, courroucé, humilié, Trajan mourut d’apoplexie en 117. Hadrien, son petit-neveu par alliance et fils adoptif, lui succéda.
À l’intérieur de l’Empire, Trajan entreprit une politique de grands travaux : Forum de Trajan à Rome, agrandissement du port d’Ostie, assèchement des Marais pontins, aqueducs d’Alcantara et de Ségovie, voie romaine reliant Damas à la Mer rouge, et, naturellement, l’érection de la Colonne Trajane…
Son règne fut aussi un âge d’or pour la littérature avec Tacite, Pline le Jeune, Juvénal et Plutarque.
La politique de Trajan à l’égard des Chrétiens est bien souvent mal comprise. Un échange de correspondance entre Pline le Jeune, alors gouverneur de Bithynie et l’empereur, précise les mesures qui devaient être prises contre ces « religionnaires » d’un genre nouveau. Cependant, ces lettres deviennent incompréhensibles si on présuppose que les Chrétiens de l’époque de Trajan n’étaient que de doux illuminés inoffensifs.
Par exemple, pourquoi Pline et Trajan trouvent-ils tout naturel de faire exécuter directement toute personne qui s’avoue chrétien ?
Pline, un juge arbitraire ? Trajan, un tyran inhumain ? Allons donc !
Citons cet extrait : « A ceux qui avouaient (qu’ils étaient Chrétiens), je l’ai demandé une deuxième, puis une troisième fois, en les menaçant du supplice : quoi que signifiât cet aveu, j’étais sûr qu’il fallait au moins punir cet entêtement et cette obstination inflexible. D’autres, possédés de la même folie, je les ai, en tant que citoyens romains, notés pour être envoyés à Rome ».
Et pourquoi d’autres Chrétiens, sachant que l’empereur avait interdit les « hétairies » (c’est-à-dire les associations secrètes) ont, du coup, renoncé au Christianisme ?
Ce n’est pas ici le lieu de s’étendre sur ce sujet, mais il faut cependant signaler que la correspondance entre Pline le Jeune et Trajan s’explique bien mieux si le christianisme de cette époque était, considéré à tort à raison (à mon avis, plus à raison qu’à tort) comme une association secrète et terroriste, comme une secte militante, héritière des mouvements messianiques juifs qui avaient semé la terreur en Judée au Ier siècle.
Or un groupement de ce genre, en dissimulant une doctrine subversive sous d’innocentes cérémonies, pouvait séduire des braves gens ou des naïfs. Et c’était précisément là le problème de Pline : comment distinguer les dangereux Chrétiens activistes de la masse des illuminés, de la foule des gogos ?
C’est aussi pour cela qu’il ne pouvait ni comprendre, ni faire preuve de pitié pour ceux qui se glorifiaient de leur condition de chrétien. Comment ces gens pouvaient-ils revendiquer ouvertement son appartenance à une société secrète ? Avait-on jamais vu cela ? Venir devant le tribunal impérial et dire benoîtement : « Voilà, je suis membre d’une société occulte, ultra secrète, et j’en suis fier ! ». C’était incompréhensible ! La trahison d’un secret par pur mépris de la justice de l’empereur et de son représentant ! C’était bien là le comble du fanatisme, de l’opiniâtreté et de la rébellion ! Ce comportement, dans l’esprit de Pline et de Trajan, méritait certainement la peine capitale… D’autant plus que l’empereur avait strictement interdit les associations secrètes !
Dernière chose : en 105-106, pendant que Trajan était tout occupé à ses campagnes de Dacie, les armées du gouverneur de Syrie Cornelius Palma annexaient le petit royaume de Pétra, qui deviendra la province d’Arabie Pétrée (actuellement, la Jordanie). Or c’était là qu’après la chute de Jérusalem (70), les Chrétiens s’étaient réfugiés, qu’ils s’étaient « regroupés autour des parents du Christ » dira l’historien ecclésiastique Eusèbe de Césarée.
Cette conquête poursuivait deux buts : d’une part, nous l’avons dit, protéger les voies commerciales entre l’Égypte et l’Orient, mais sans doute aussi de priver les résistants juifs (Chrétiens et Zélotes) de leurs sanctuaires terroristes au-delà du Jourdain.
La tradition veut d’ailleurs que précisément ces années-là, le pape Évariste ait été martyrisé à Rome. Coïncidence me direz-vous ? Peut-être. Cependant, on peut aussi penser que les Chrétiens de Rome, de Syrie et d’ailleurs, ne virent pas d’un œil très favorable l’écrasement du petit royaume arabe. N’était-ce pas là le sanctuaire où leurs coreligionnaires « résistaient encore et toujours à l’envahisseur ».
D’où troubles, émeutes, révolte, et exécution des principaux leaders de la secte… Sans qu’il soit d’ailleurs jamais question de réprimer une religion : la justice impériale ne frappait en l’occurrence que des rebelles opiniâtres !