271 – 274
Tetricus
(C. Pius Esuvius Tetricus)
Après l’assassinat de l’empereur gaulois Victorinus, victime d’un mari aussi jaloux et vindicatif que cocufié, les légionnaires de l’armée du Rhin se trouvèrent fort embarrassés : par la faute de l’irascible mais inconscient Attilianus, le cocu vengeur, l’Empire des Gaules se trouvait à nouveau décapité, et ce au moment précis où l’orage menaçait de toutes parts. D’une part, les Francs, accompagnés d’autres peuplades germaniques, n’allaient pas manquer de profiter du vide du pouvoir pour recommencer les incursions pillardes en Gaule. D’autre part, l’empereur de Rome Aurélien ne faisait pas mystère de son intention de mettre fin aux sécessions qui privaient l’Empire romain de ses plus riches provinces. Déjà il se préparait à marcher contre le royaume de Palmyre qui, grâce à sa belle reine Zénobie, s’était approprié tout l’Orient romain. Ensuite, ce serait certainement au tour de l’Empire des Gaules d’être mis au pas… Il fallait donc désigner d’urgence – car le temps pressait – un chef susceptible de remplacer le galant Victorinus sacrifié sur l’autel de l’honneur conjugal.
Les suffrages des soldats se portèrent sur Tetricus, un noble sénateur qui occupait, à ce moment, les fonctions de préfet de la province d’Aquitaine.
On s’interroge encore les raisons de ce choix.
En choisissant leur chef au sein de l’aristocratie locale plutôt que d’élire, selon leur habitude, un rude militaire, peut-être les soldats voulurent-ils rehausser le prestige de l’Empire gaulois menacé par Aurélien ? C’est possible…
Quoi qu’il en soit, ce dont nous sommes certains, c’est que ce Tetricus n’était pas sur place (à Trèves ou à Cologne) au moment de son élection et qu’il avait certainement exercé un commandement militaire avant son élévation au trône, car jamais les soldats n’auraient accepté d’être placé sous le commandement d’un civil inexpérimenté.
Il faut aussi rejeter cette fable qui prétend que la mère de Victorinus, la très controversée Victoria Augusta, après avoir refusé la pourpre impériale pour elle-même, aurait soudoyé les soldats de l’armée du Rhin pour qu’ils désignent Tetricus.
tetricus II
Une fois élu (décembre 271), Tetricus, qui se trouvait encore à Burdigala (Bordeaux) s’empressa de rejoindre les troupes qui l’avaient choisi. En chemin, il démontra ses qualités de stratège en repoussant les Barbares qui, pour ne pas faillir à leurs mauvaises habitudes, avaient franchi le Rhin… Juste histoire de tester les capacités militaires du nouveau chef gallo-romain (année 272). Ensuite il s’établit à Trèves, et c’est là (été 273) qu’il éleva son fils, Tetricus le Jeune, à la dignité de « César » (empereur subalterne).
Fin 273, tout allait donc au mieux pour l’Empire romain des Gaules. Les envahisseurs étaient refoulés, le pays était calme, les frontières étaient solidement gardées, l’empereur Tetricus avait fait ses preuves et semblait être un homme compétent, sa succession était assurée. Bref, de nombreuses années de calme, de paix et de prospérité en perspective !
Cependant, l’Empire gallo-romain fondé treize ans plus tôt par Postumus n’avait plus que quelques mois à vivre.
L’empereur Aurélien n’avait fait qu’une bouchée du royaume de Palmyre. Presque sans coup férir, il avait soumis à son autorité toute la partie orientale de l’Empire romain et s’apprêtait maintenant à faire main basse sur l’État sécessionniste des Tetricus, père et fils. L’Espagne et la province de Narbonnaise avaient déjà rallié la cause de Rome ! Sous peine d’être anéantis, les empereurs gaulois devaient réagir énergiquement et rapidement.
Comme Aurélien et ses légions au moral gonflé à bloc par leurs victoires orientales marchaient vers le Nord, les deux Tetricus se portèrent à sa rencontre avec toutes leurs forces. Les armées se rencontrèrent aux environs de Châlons-sur-Marne.
Et puis, on ne sait pas trop ce qui se passa réellement…
Faut-il croire les sources officielles qui prétendent que Tetricus redoutait davantage ses propres soldats que ceux d’Aurélien. Évidemment, cette crainte n’était que trop justifiée : presque tous ses éphémères prédécesseurs avaient été massacrés lors de mutineries. Tetricus ne tenait certainement pas à partager leur sort ! C’est pourquoi, juste avant la bataille décisive, le dernier « empereur gaulois », accompagné de son fils, aurait déserté honteusement, abandonnant à leur sort ces soldats qu’il craignait tant.
Pendant que son armée se faisait massacrer par les légionnaires aguerris d’Aurélien, Tetricus et son fils se seraient prosternés devant l’empereur de Rome, sollicitant sa protection. « Délivre-moi de mes tourments, ô Invincible ! » aurait même pleurniché Tetricus Père, citant un vers de Virgile.
Ouais !
Sans doute ce récit ne présente-t-il que la version « officielle », c’est-à-dire la propagande d’Aurélien. Pour légitimer la liquidation d’un Empire gallo-romain qui, jusque-là, avait très honorablement rempli son rôle défensif contre les Germains pillards, il fallait discréditer à la fois ces empereurs gaulois et leurs soldats. Les historiens « aux ordres du pouvoir » montrèrent donc que les premiers étaient bien trop faibles pour défendre une frontière aussi menacée que celle du Rhin, et que les seconds étaient vraiment trop inconstants, trop indisciplinés pour s’acquitter correctement de cette tâche.
En fait, il est vraisemblable qu’une vraie bataille, bien sanglante et bien acharnée, se déroula aux environs de Châlons-sur-Marne, et que les Tetricus y défendirent vaillamment leur couronne.
Ce qui n’est, en revanche, pas contesté, c’est la mansuétude dont Aurélien fit preuve à l’égard des usurpateurs gaulois vaincus. Après avoir (c’était le « service minimum ») figuré en bonne place lors du triomphe d’Aurélien à Rome (printemps 274), « revêtu d’une chlamyde écarlate, d’une tunique jaune et de braies gauloise » (Hist. Aug., Aur., XXXIV, 2), Tetricus Père fut nommé gouverneur (« corrector ») de Lucanie (Pouilles). Tetricus Junior, quant à lui, fut autorisé à siéger au Sénat dont il devint, paraît-il un membre éminent.
Cela dit, on n’accordera cependant guère de crédit au très facétieux auteur de l’Histoire Auguste (Tr. Tyrans, XXIV), lorsqu’il prétend qu’Aurélien avait confié le gouvernement de toute l’Italie à notre Tetricus et que, fréquemment, l’empereur romain, qui n’était pourtant pas précisément un « amusant », aimait à plaisanter avec son ancien rival gaulois « l’appelant souvent collègue, parfois compagnon d’armes et même, de temps à autre, empereur. » !