275 – 276
Tacite
(Marcus Claudius Tacitus)
Parmi tous les empereurs romains, Tacite, le successeur d’Aurélien, présente une caractéristique assez plaisante : à peu près tout ce que les historiens (depuis les biographes antiques jusqu’aux érudits du XIXe siècle) ont écrit à son sujet, s’est avéré totalement fantaisiste.
Par exemple :
Après la mort d’Aurélien, assassiné, comme on le sait, dans des circonstances assez mystérieuses, il n’est pas vrai que le Sénat et l’armée se renvoyèrent la balle pendant six mois pour désigner le nouvel empereur. « Nommez vous-mêmes l’empereur, ô nobles Pères conscrits ! » – « Nous ? Désigner le successeur d’Aurélien ? C’est vraiment trop d’honneur… Nous n’en ferons rien ! C’est à vous que revient cette gloire, ô valeureux légionnaires ! »… Et cela pendant six mois ! Pendant que les Perses se montraient de plus en plus menaçants et que les Barbares ravageaient l’Empire…
En fait, après l’assassinat Aurélien (automne 275), Tacite fut aussitôt acclamé par l’armée. Le temps que la nouvelle de sa désignation parvienne à Rome, que le Sénat, plus servile que jamais, ratifie le choix des soldats, et Tacite entrait légalement en fonction (au plus tard le 1er janvier 276). L’interrègne ne dura donc guère plus que le temps nécessaire à un voyage aller-retour entre Rome et la Thrace, soit quelques semaines tout au plus.
tacite – tacitus
Il est peu vraisemblable que, quand il fut proclamé empereur, Tacite n’était qu’un vénérable magistrat campagnard, totalement étranger aux choses militaires. Jamais l’armée n’aurait accepté d’obéir à un civil !
Sans doute l’empereur Tacite était-il un général retraité.
Tacite avait-il atteint l’âge canonique (pour l’époque) de 75 ans quand il accéda au pouvoir suprême ? C’est peu probable ! Ça non plus, les soldats ne l’auraient pas accepté.
Le fantaisiste auteur de l’Histoire Auguste nous laisse supposer que cet empereur de la fin du IIIe siècle descendait en ligne directe du célèbre auteur de ces Annales tant redoutées des latinistes en herbe, le fameux historien Tacite (début du IIe siècle). Cette ascendance est hautement hypothétique.
En fait, comme ses prédécesseurs Claude le Gothique et Aurélien, et à l’instar de ses successeurs Probus et Dioclétien,, Tacite était probablement originaire des provinces balkaniques.
ß Autre invention de l’Histoire Auguste : l’empereur Tacite, devenu un peu gaga dans ses derniers jours, aurait voulu débaptiser le mois de septembre pour lui donner son propre nom… Une anecdote certes pittoresque, mais dénuée de tout fondement historique.
Ce dont, en revanche, nous sommes à peu près sûrs, c’est que Tacite se montra homme d’état avisé et général compétent.
Du temps d’Aurélien, les relations entre l’empereur et Sénat avaient été plutôt houleuses. Grâce à une politique conciliante, Tacite parvint à rétablir une bonne entente entre le Prince et l’aristocratie sénatoriale.
Stratège prudent, Tacite refusa de combattre sur deux fronts. Il laissa les bandes de Francs et d’Alamans ravager la Gaule (une fois de plus), et porta tout son effort militaire en Orient. Il faut dire qu’Aurélien avait été imprudent : préparant une grande expédition contre l’ennemi héréditaire perse, il avait soudoyé des hordes barbares (des Hérules et autres peuplades exotiques des environs de la mer d’Azov) afin qu’elles prennent l’Empire perse à revers. L’assassinat de son concepteur avait fichu ce beau plan à l’eau, et l’expédition d’Orient avait été reportée sine die. Privés du butin escompté, les dangereux alliés occasionnels d’Aurélien, avaient alors envahi les riches provinces d’Asie Mineure pour se dédommager sur le dos de Rome.
Pour régler ce problème, Tacite, conformément aux traités signés par son prédécesseur, accorda un dédommagement aux tribus qui acceptaient de se retirer du territoire romain. Quant aux autres, celles qui refusaient la main tendue (et la bourse bien pleine) de Rome, l’empereur les écrasa sans pitié.
Les circonstances de la mort de Tacite demeurent obscures.
Selon certains il mourut d’épuisement. Cependant, son assassinat par des soldats mutinés demeure plus probable. Tacite aurait nommé un de ses parents comme gouverneur de Syrie, mais celui-ci aurait fait preuve d’une sévérité si révoltante qu’il aurait été massacré par ses propres troupes. Leur forfait accompli, les mutins n’auraient eu d’autre solution que d’éluder les représailles de Tacite en assassinant le vieil empereur. (Août 276).