261
Pison
Après l’humiliante défaite de Valérien, son ministre des finances Macrien parvint à repousser les Perses du roi Sapor hors des territoires romains. Tout fiérot de ce succès inespéré, l’ambitieux politicien se mit alors en tête de ravir le trône impérial à Gallien, fils et successeur légitime de son ancien maître. Macrien revêtit donc la pourpre, ceignit la couronne radiée des Césars et se fit proclamer imperator par ses soldats.
L’usurpateur semblait détenir tous les atouts afin de conquérir le pouvoir suprême. Ancien ministre des finances de Valérien, il avait la haute main sur le trésor impérial. De plus, ses troupes étaient nombreuses, et leur moral requinqué par leur victoire contre l’ennemi héréditaire perse. Presque toutes les provinces orientales de l’Empire avaient reconnu son autorité et lui livraient des provisions, des armes et des subsides. Bref, il lui ne restait plus qu’à liquider Gallien pour accéder au pouvoir suprême.
gallien
Mais pour abattre le fils de Valérien et faire légitimer son pouvoir par le Sénat de Rome, il fallait que Macrien envahisse l’Europe, donc passe le détroit des Dardanelles… Et c’est là qu’il risquait d’y avoir un problème : Valens, le gouverneur de Grèce (et de Macédoine ?) était un homme de parole. Fonctionnaire nommé par Gallien, il lui resterait sans doute fidèle et empêchait par tous les moyens le débarquement des forcesl’usurpateur oriental. Alors vraiment, mieux valait éliminer ce juste avant d’entreprendre la marche victorieuse sur Rome !
Selon l’Histoire Auguste, c’est notre Pison que Macrien aurait désigné pour exécuter ce sale boulot.
Pison n’eut pas de chance !
À peine arrivé en Europe, il apprit que Valens, informé du complot ourdi contre lui, s’était, à son tour, autoproclamé empereur et avait lancé des sbires contre sa personne. Pison aurait alors désespérément tenté de surenchérir sur son employeur, l’empereur d’Orient Macrien, ainsi que sur sa future victime Valens, l’empereur de Grèce : il aurait, lui aussi, revêtu la pourpre et se serait fait reconnaître comme empereur.
Mais cette promotion inopinée n’arrêta pas le bras des tueurs de Valens. Les assassins rattrapèrent cet empereur tout frais émoulu et, sans le moindre respect pour son auguste personne, ils le massacrèrent.
Voici grosso modo, le récit abracadabrant que nous livre l’Histoire Auguste, la seule source historique qui mentionne ce Valens.
Tout cela vous paraît bizarre ? Pourtant, par respect pour votre intelligence, j’ai carrément « sucré » les passages les plus farfelus. Par exemple, celui qui prétend que ce Pison « descendait de l’illustre famille des Pisons à laquelle s’était allié Cicéron pour entrer dans la noblesse ». Ou encore cette belle affirmation : « Valens qui avait pourtant lancé des tueurs contre lui, aurait déclaré qu’il aurait à se justifier devant les dieux infernaux d’avoir fait assassiner Pison parce que cet homme, bien qu’il fut son ennemi, n’avait pas d’égal dans l’État ». On croit rêver !
Quant à l’accession au trône de ce Pison, il va de soi que si, en ces temps troublés, toutes les personnes menacées de mort violente avaient usurpé le trône impérial, il aurait été très difficile de trouver encore un seul « simple citoyen » dans tout l’Empire !
Tout cela n’est guère que pure fiction et, si ce récit recèle une once de vérité, elle se situe à un niveau homéopathique.
Alors, finalement, que faut-il retenir de tout ce ramassis de fariboles. ?
Simplement ceci :
Après la défaite de Valérien, Macrien revendiqua le trône impérial et fut reconnu en Orient
En 261, Macrien franchit le détroit des Dardanelles pour livrer bataille à Gallien, son rival en Occident
À cette époque, le gouverneur de Grèce (et peut-être de Macédoine) se nommait sans doute Valens
Si ce Valens était fidèle à Gallien, Macrien tenta peut-être de s’en débarrasser
Si ce fut le cas, il est douteux qu’il ait chargé un noble patricien de cette basse besogne
Il n’est pas prouvé que Valens se proclama empereur
Quant à Pison, son « usurpation prophylactique » est encore moins vraisemblable.
Pison est donc probablement un personnage fictif, inventé par l’imaginatif auteur de l’Histoire Auguste.