235 – 238
Maximin Ier (le Thrace)
(Caius Julius Verus Maximinus Thrax)
Dans les années 202-203, l’empereur Septime Sévère, au retour de son expédition militaire en Asie, s’arrêta en Thrace (Turquie d’Europe actuelle) pour fêter, par des épreuves sportives, l’anniversaire de la naissance de son cadet Geta. Un très grand lascar, nommé Maximin, berger de profession, se présenta alors au souverain pour solliciter l’honneur de participer au concours de lutte. L’empereur accepta bien volontiers et Maximin fit mordre la poussière à tous les adversaires qui lui étaient opposés.
Le lendemain, l’empereur parcourait son camp à cheval quand il vit le grand berger fort occupé à danser comme un possédé au milieu des soldats. Maximin, à sa façon rustique, célébrait ses victoires ! Constatant que le souverain l’avait remarqué, le gaillard s’approcha de lui et se mit à le suivre comme un chien. Septime Sévère, curieux, accéléra l’allure de sa monture, passa au trot, puis au galop… et le berger thrace le suivait toujours comme son ombre, le moindre signe de fatigue. L’empereur, amusé, lui demanda alors si, après cette petite mise en jambes, il était prêt, comme la veille, à affronter les malabars de l’armée. « Pas de problème ! » répondit Maximin qui, de fait, envoya aux tapis toute une flopée d’adversaires coriaces.
Impressionné par la vigueur du géant, l’empereur engagea ce berger grossier et inculte dans sa garde personnelle.
Tels furent d’après la fantaisiste et assez tardive Histoire Auguste (Ve siècle), les débuts de la carrière militaire du futur empereur Maximin le Thrace.
Il convient naturellement d’émettre quelques réserves quant à véracité de ce récit tout émaillé d’exagérations. Cependant, il n’en reste pas moins vrai que Maximin était d’origine très humble et que c’était vraiment un très grand gaillard… Même si la taille de 2m70 que lui prête son biographe paraît un peu excessive et qu’on puisse également douter qu’il se servait des bracelets de son épouse en guise de bagues !
Il est aussi tout à fait exact que carrière de Maximin fut purement militaire. Engagé comme simple soldat à la fin du règne de Commode, sa bravoure et sa robustesse lui permirent de monter rapidement en grade. Selon l’Histoire Auguste, il avait atteint, sous Caracalla, le grade de centurion, mais aurait, par point d’honneur, refusé de servir sous son successeur et meurtrier Macrin, ainsi que sous l’efféminé Élagabal.
Ce n’est que quand celui-ci fut mis à mort, déchiqueté par la foule, qu’il reprit du service.
Sous Sévère Alexandre, il devint tribun et prit le commandement de la IVe légion (?) qu’il réorganisa et qui devint, grâce à lui, une des plus disciplinées de l’armée romaine.
Aux dires de l’Histoire Auguste, l’empereur aurait même songé à donner la main de sa propre sœur au fils de Maximin. Mais ces noces ne se firent point… Ces Maximins étaient décidément par trop insortables !
À cause de cet affront, ou simplement en raison de son ambition démesurée, le grand Maximin se mit à comploter contre son bienfaiteur. Profitant du fait que, pour impressionner des Germains toujours menaçants, l’armée était rassemblée sur le Rhin, près de Mayence, il convoqua les principaux chefs militaires et leur monta la tête contre le jeune empereur. Selon lui, Sévère Alexandre allait agir de la même façon que sur le front oriental : il allait, de nouveau, acheter honteusement la paix sans en découdre avec l’ennemi, et, une nouvelle, fois priver les soldats de récompenses et de butin.
Ces paroles séditieuses produisirent l’effet escompté. Lors d’un exercice, l’armée, réunie sur la plaine de manœuvres, acclama le grand Maximin comme empereur et celui-ci n’eut rien de plus pressé que d’aller tremper ses mains dans le sang de Sévère Alexandre, de sa mère et de ses conseillers.(Mars 235)
Maximin le Thrace ne gouverna l’Empire que trois ans, et pendant son court règne, il ne mit jamais les pieds à Rome. Militaire jusqu’au bout des ongles, il resta aux frontières à combattre les Barbares… le plus souvent d’ailleurs avec succès, car ce soudard était aussi un excellent général (ou plutôt un stratège né).
Après avoir mâté la révolte des archers arabes (osrhoéniens) commandés par un certain Titus (que l’historien grec Hérodien nomme Quartinus), Maximin refoula les Germains dans leurs forêts au-delà du Rhin. Puis, sur le Danube, il donna une sévère leçon aux Daces et aux Sarmates qui présumaient d’envahir l’Empire. Il aurait même eu l’intention de conquérir toute la Germanie jusqu’à la mer Baltique afin de sécuriser définitivement les frontières de l’Empire de ce côté.
Les surnoms glorieux de Germanicus et de Sarmaticus qu’il s’attribua n’étaient donc certes pas usurpés.
Mais toutes ces victoires ne firent pas de Maximin un personnage fréquentable, loin de là ! Cet empereur mit littéralement l’empire à sac, pillant les temples païens, faisant fondre les statues des divinités séculaires pour frapper des monnaies sonnantes et trébuchantes, rançonnant les sénateurs et les patriciens qui l’avaient humilié dans sa jeunesse malheureuse, massacrant l’élite politique et intellectuelle de la nation… Bref, Maximin le Thrace considéra l’État comme un pays conquis, et ses ressources comme prises de guerre. Ni plus, ni moins.
Cela ne pouvait naturellement pas durer, et Maximin dut bientôt faire face à une révolte généralisée.
Le procurateur d’Afrique (du Nord) avait tant pressuré ses malheureux administrés que ceux-ci finirent par se révolter. Pour légitimer leur rébellion, ils forcèrent Gordien, un sénateur octogénaire, à revêtir la pourpre impériale. Cet empereur malgré-lui n’eût que le temps d’associer son fils au pouvoir et de se faire reconnaître par le Sénat de Rome car,après seulement trois semaines de règne à Carthage, lui et son fils étaient déjà morts et enterrés. La révolte, écrasée par les troupes fidèles à Maximin, avait été étouffée dans l’œuf
L’affaire africaine semblait close au plus grand bénéfice de Maximin. Pourtant, la rébellion ne faisait que commencer : le feu qui avait été étouffé en Afrique reprit à Rome. Dans la capitale, quand l’échec des Gordiens fut connu, le profond abattement qui s’était emparé de toute la population se transforma bien vite en peur panique. Le Sénat, qui avait emboîté le pas aux rebelles d’Afrique, et le peuple, qui avait déjà massacré tous les partisans romains de Maximin, savaient qu’ils n’avaient aucune indulgence à espérer du sanguinaire barbare couronné, et cela leur donnait une audace insoupçonnée !
Les Sénateurs, contraints à une fuite en avant, déclarèrent donc Maximin ennemi public et désignèrent, pour succéder aux malheureux Gordiens et défendre la Patrie en danger, deux empereurs ex æquo : Maxime Pupien, qui s’occuperait des questions militaires, et Balbin qui maintiendrait l’ordre dans la Capitale. De son côté, le peuple exigea que l’on adjoigne à ces deux nobles personnages un petit-fils du vieux Gordien d’Afrique, le futur empereur Gordien III.
Si ce triumvirat parvint sans peine à se faire reconnaître par la plupart des provinces, son pouvoir resta contesté à Rome même. Les soldats de la garde prétorienne, suspects de sympathie pour l’empereur Maximin, et qui étaient agressés par une foule surexcitée, s’étaient retirés, menaçants, dans leurs casernements, non sans avoir incendié une bonne partie de la Ville.
L’empereur Maximin se trouvait, lui, sur les rives du Danube avec le gros de l’armée. Il apprit les événements de Rome avec un sang-froid surprenant et décida de marcher sur l’Italie avec toute son armée. Ce ne serait, pensait-il, qu’une promenade militaire : comment ces Italiens dégénérés pourraient-ils résister aux légionnaires vainqueurs des Germains et des Sarmates !
Maximin, à la tête de ses troupes, franchit sans encombre les Alpes, pénétra en Italie et… tomba sur un os : la ville d’Aquilée, la porte de l’Italie du côté de l’Adriatique. Une place forte puissamment fortifiée, largement pourvue en hommes et en vivres.
Il faut dire que Maxime Pupien, l’empereur du Sénat, à défaut d’être un grand homme de guerre, était néanmoins un stratège réaliste. Sachant parfaitement que ses chances de vaincre des troupes aguerries de Maximin en bataille rangée étaient quasi nulles, il avait adopté la tactique de la « terre brûlée ». C’est ainsi que le siège d’Aquilée prit une tournure inattendue. Sur les remparts, les assiégés festoyaient à longueur de journée, au nez et à la barbe des assiégeants tandis que ceux-ci, la campagne environnante étant vide de blé, de viande et de vin, crevaient de faim. C’était le monde à l’envers !
Et les soldats de Maximin de grogner…
Et l’empereur, retrouvant toute sa fureur barbare, de s’énerver…
Hors de lui, il accusa ses généraux, en vrac, de sabotage, d’inertie, de mauvaise volonté, de défaitisme, voire de trahison, se saisit de quelques-uns d’entre eux, et, pour l’exemple, les fit exécuter sur le champ.
On croira volontiers que cette brutalité injustifiée n’accrut pas la popularité de l’empereur. Plus que jamais désireux d’en finir avec ce siège interminable, les généraux survivants et les légionnaires, désemparés et affamés, se mirent d’accord pour assassiner leur chef.
Maximin et son fils, qu’il avait élevé au rang de César et associé au trône, furent massacrés par leurs troupes alors qu’ils sortaient de leur tente pour les haranguer.
Leurs têtes coupées, furent envoyées à Rome, en guise de cadeau et de gage de fidélité aux empereurs du Sénat. (mi-avril 238)
Dans l’Histoire de l’Église, cette grande brute de Maximin le Thrace a acquis une fâcheuse réputation d’empereur persécuteur.
Ici encore, il faut relativiser.
Après avoir assassiné son prédécesseur Sévère Alexandre, Maximin le Thrace massacra aussi tous les amis, tous les familiers de l’empereur. Or, aux dires de l’historien ecclésiastique Eusèbe de Césarée, les Chrétiens étaient nombreux dans l’entourage de l’infortuné Alexandre.
D’autre part il me semble ce serait faire beaucoup trop d’honneur à ce rustre de Maximin que de lui attribuer la moindre préoccupation philosophique ou religieuse. Si une personne était bien éloignée de toute préoccupation métaphysique, c’était bien ce soudard inculte, cette grosse brute !
Dès lors si certains Chrétiens « souffrirent le martyre » sous le règne de Maximin, ce n’est certainement pas parce qu’ils pratiquaient une religion dont l’élévation morale aurait pu porter ombrage au débauché Maximin, mais uniquement parce qu’ils avaient soutenu le malchanceux prédécesseur de l’empereur régnant.
La « persécution de Maximin » ne doit donc être considérée que comme une épuration politique consécutive à un changement de régime et aussi limitée dans le temps que dans les faits. On notera d’ailleurs, qu’à Rome, le pape Pontien et l’antipape Hippolyte furent condamnés « seulement » au bagne – un châtiment purement politique, tandis que l’éminent philosophe chrétien Origène, ami de l’ancienne impératrice-mère Julia Mammaea et précepteur occasionnel d’Alexandre Sévère, échappa à toute répression. C’était pourtant une autorité chrétienne reconnue partout dans l’Empire.