gordien 3

Gordien III

238 – 244
Gordien III
(Marcus Antonius Gordianus)

Au début de l’année 238, le cruel Maximin le Thrace, un soudard barbare et cruel, régnait sur tout l’Empire romain, multipliant les exactions. Un peu partout, le mécontentement grandissait.
Des grands propriétaires de la province d’Afrique (Tunisie actuelle) prirent les armes contre le tyran et, pour légitimer leur révolte, obligèrent le vieux sénateur Gordien à ceindre la couronne impériale. Celui-ci, après avoir désigné son fils unique (Gordien II) comme co-empereur, parvint à s’emparer de Carthage, la capitale de la province. Un succès sans lendemain : les légions d’Afrique, fidèles à l’empereur Maximin, écrasèrent la révolte dans le sang. Gordien II mourut dans la bataille et Gordien Ier, désespéré, se pendit.

Et pourtant, Maximin n’avait pas encore partie gagnée : toute la population de la ville de Rome, Sénat et peuple confondus, s’était ralliée à la cause des Gordiens.
Après l’échec sanglant de la révolte africaine, le Sénat, que la crainte des représailles de Maximin contraignait à une fuite en avant, désigna deux empereurs, Pupien et Balbin, pour défendre la patrie en danger.

Cette désignation mécontenta le peuple. À son avis, la famille des Gordiens n’avait pas été récompensée selon ses mérites. Quant aux deux co-empereurs du Sénat, ces nobliaux hautains, prétentieux et autoritaires, ces vieillards blanchis sous le harnais, ce n’étaient que des profiteurs qui récoltaient ce qu’ils n’avaient point semé ! La plèbe romaine assiégea donc les Sénateurs dans leur Capitole jusqu’à ce qu’ils acceptent d’adjoindre aux deux nouveaux empereurs un gamin de treize ans, parent des Gordiens d’Afrique : notre Gordien III

Ce Gordien, contrairement à ce beaucoup d’historiens ont crû (certains mêmes continuent à le croire), n’était le pas le fils de Gordien II. Ce n’était que le fils de sa sœur.
Gordien III était donc le neveu de Gordien II et le petit-fils de Gordien Ier. Suis-je assez clair ?

Démentant toutes les prévisions, même les plus optimistes, les co-empereurs du Sénat se débarrassèrent assez vite et assez facilement du cruel Maximin. Celui-ci fut assassiné par ses propres soldats alors qu’il assiégeait la place forte d’Aquilée, en Italie du Nord.

Cependant, la mort de Maximin ne signifiait pas encore la fin des troubles.
Les gardes prétoriens de Rome, restés secrètement fidèles à Maximin, n’avaient pas admis d’être évincés du processus – si rentable – de désignation des empereurs. Et puis, ils craignaient que l’accroissement des prérogatives du Sénat ne signifie, à terme, la fin de celles de l’armée. Bref, en un mot comme en cent, ils ne pouvaient accepter sans broncher l’autorité d’empereurs qui n’étaient que des civils, des ploucs, des planqués qui ne connaissaient rien à l’art de la guerre !

Aussi, au début du mois de mai 238, tandis que le peuple était occupé à célébrer les jeux Capitolins, les Prétoriens massacrèrent Pupien et Balbin.
Faute d’autres prétendants, l’enfant Gordien III restait seul maître de l’Empire. (Mai 238).

Ce qu’on appellera « la Révolution de 238 » était terminée. Elle n’avait duré que cinq mois seulement, mais après elle, plus jamais l’Empire ne retrouvera sa grandeur, sa richesse et sa stabilité politique. À partir de 238 et pendant presque cinquante ans, aucun empereur ne pourra s’imposer durablement. Des militaires chanceux ou habiles, soutenus par telle ou telle armée, telle ou telle province, s’empareront d’un pouvoir précaire et éphémère, avant d’être détrônés par un autre soldat de fortune. Ce sera ce qu’on a coutume d’appeler « l’Anarchie militaire ».

Mais revenons à Gordien III et à son règne.
Ce fut un bien faible empereur. Il est vrai qu’il accéda au trône bien trop jeune pour régner seul.
Dans la première partie de son règne, il subit la tutelle, désastreuse, des eunuques dont sa mère s’était entourée. Mais, bien vite, il parvint à se libérer de cet entourage étouffant en épousant la fille de son maître de rhétorique Timésithée, que certains auteurs nomment aussi « Misithée ».

Ce Caius Furius Sabinius Aquila Timesitheus, dit Timésithée, se révéla être à la fois un véritable homme d’État et le meilleur stratège de son temps ; des qualités dont l’Empire avait impérativement besoin car la situation se dégradait sérieusement…
Sur le front oriental, le roi de Perse, Sapor Ier (on écrit aussi Châpour, Châhpur ou Shâhpuhr), venait de rompre la trêve qui le liait à Rome depuis Sévère Alexandre. Ses cavaliers avaient écrasé les légions à la bataille de Rhesaena. Les Romains en déroute abandonnaient la Mésopotamie et l’Arménie. La Syrie était menacée et au-delà de cette province, la riche Égypte, le véritable grenier à blé de Rome.

Timésithée, nommé à la hâte Préfet du prétoire, c’est-à-dire commandant en chef des forces romaines, se rendit en Orient, accompagné du jeune empereur Gordien, son beau-fils.
Très vite, cet homme, qui n’était pourtant qu’un général de raccroc, rétablit la situation aux frontières. Hélas, une dysenterie, d’ailleurs fort suspecte, emporta ce rhéteur devenu, par la force des choses, le plus brillant général de l’Empire.

Privé du plus ferme soutien de son trône, le jeune Gordien se trouva fort désemparé. Pour remplacer son beau-père dans ses fonctions de Préfet du Prétoire, il choisit le maître de cavalerie Philippe, futur empereur Philippe l’Arabe.
Un choix bien malheureux ! C’était cet individu que la rumeur publique accusait d’avoir empoisonné Timésithée. Le nouveau Préfet du Prétoire était, en outre, un ambitieux dénué de tout scrupule… Enfin, c’est ainsi que le présentent les historiens de langue latine, qui voient en l’Arabe Philippe l’instigateur de la mort de Gordien III et le principal responsable de tous les malheurs qui frappèrent l’Empire romain après la mort de ce jeune empereur.
Selon eux, cet intrigant personnage de Philippe ne dévoila pas d’emblée ses ambitieuses batteries. Malgré la mort de son concepteur, il continua d’appliquer la stratégie de Timésithée, et les légions romaines, toujours victorieuses, progressèrent encore en Mésopotamie, chassant devant elles les Perses du roi Sapor.

Mais, en réalité, Philippe l’Arabe n’avait cure du plan de Timésithée. À en croire les historiens « de tradition latine », la victoire des aigles romaines ne l’aurait que très modérément intéressé ! La seule chose qu’il guignait, c’était le trône impérial, et pour atteindre cet objectif, il aurait mis au point un savant programme de démoralisation des troupes.
Tout d’abord, il se serait ingénié à désorganiser l’approvisionnement de l’armée. Ensuite, quand le ventre et le cerveau des soldats se trouvèrent bien vides, Philippe aurait déclenché une virulente campagne de dénigrement contre l’empereur Gordien. Des propagandistes à sa solde auraient parcouru le camp, opposant systématiquement l’inexpérience du jeune prince aux qualités d’homme de guerre, prétendument exceptionnelles, du Préfet du Prétoire.

Toujours selon les historiens latins, le plan de Philippe aurait réussi à merveille : bientôt l’empereur Gordien se serait aperçu que plus personne ne lui obéissait.
Alors, le pauvre gamin aurait paniqué.
Pour sauver sa peau, il aurait proposé à Philippe différents arrangements qui, chaque jour, abandonnaient au Préfet du Prétoire un peu plus de son pouvoir.
Il aurait d’abord offert à Philippe le poste de régent, laissé vacant après le décès de son beau-père. Puis lui aurait proposé de devenir co-empereur avec lui. Ensuite il aurait voulu le nommer empereur principal, lui-même se contentant du titre honorifique de César. Enfin, Gordien aurait revu une dernière fois ses prétentions à la baisse : seul l’aurait branché l’honneur de servir comme officier sous les ordres de Philippe.

C’était encore été trop demander ! L’Empire n’était pas une charge dont on pouvait démissionner à son gré. En outre, un Gordien vivant aurait constitué une menace permanente pour Philippe. Aussi celui-ci aurait-il ordonné qu’on ôte ce gamin pleurnichard de sa vue et qu’on le tue sans atermoyer.
Ce qui fut fait. (Mars 244).

Cette version est aujourd’hui rejetée par la plupart des bons historiens (voir ici : Clic !). Accordant davantage de crédit aux relations des historiographes byzantins et aux inscriptions perses qui immortalisèrent les hauts faits d’armes du Roi des Rois Sapor qu’aux rapports des historiens latins, ils estiment que le jeune Gordien III ne finit pas victime des manigances du préfet Philippe, mais qu’il fut tué en combattant l’ennemi perse non loin de leur capitale de Ctésiphon. Il se serait fracturé la jambe en tombant de cheval et serait mort des suites de cette blessure (mars 244).

Personnellement, dans un premier temps, j’avais accepté la version des historiens latins. Je pensais en effet, que c’étaient les rapports des historiens byzantins qui manquaient d’objectivité. En effet, pour eux, le décès « accidentel » du dernier Gordien allégeait le passif de Philippe l’Arabe, lamentable empereur, mais sans doute fort bon chrétien. Tandis que du point de vue des Perses, la mort glorieuse d’un courageux autocrate romain, tombant au combat, exaltait bien mieux la valeur de son adversaire, le grand Roi des Rois Sapor Ier, que n’aurait pu le faire la fin pitoyable d’un jeune enfant apeuré. Mais à la réflexion, il est également vrai que les historiens latins avaient tout intérêt à « faire porter le chapeau » de la déconfiture des aigles romains après le décès de Gordien III à un empereur aussi exotique que ce Philippe l’Arabe.
Je laisse au lecteur le soin de choisir la version qu’il préfère. Quant à moi, même si ma raison me commande d’emboîter le pas aux éminents historiens qui disculpent Philippe l’Arabe, mon cœur – fort subjectif, je le concède – continue encore de nourrir de lourds soupçons à son endroit…

Quoi qu’i en soit, coupable ou non Philippe l’Arabe, honora la mémoire de son prédécesseur (de sa victime ?) en lui faisant élever un splendide cénotaphe en territoire perse (à Circesium, auj. Zaitha) et en ramenant ses cendres à Rome.
Il est vrai que, dans l’état où il se trouvait désormais, le pauvre Gordien III ne représentait plus la moindre menace !…

Après la répression ordonnée par Maximin et dont avaient été victimes certains leaders de la secte, le règne de Gordien III fut, pour les Chrétiens, une période de paix. Quelques indices montrent même qu’ils bénéficiaient d’une assez grande considération de la part du pouvoir impérial. Par exemple, au début du règne du jeune empereur, le pape Fabien fut autorisé à se rendre, en compagnie d’un bon nombre de prêtres, dans les bagnes de Sardaigne, afin d’y recueillir les reliques du pape Pontien et du prêtre schismatique Hippolyte.

Ce privilège, qui, contrairement aux apparences, n’était pas mince, pourrait aussi prouver que, pendant les événements du début 238, les Chrétiens, et en particulier la communauté chrétienne de Rome, ne se contentèrent pas de rester les bras croisés et les mains jointes à marmonner des prières, mais, au contraire, prirent une part active à la révolte contre Maximin et ses partisans.
En effet, comment les Chrétiens extrémistes qui, à cette époque, constituaient la majorité de la communauté chrétienne de Rome, auraient-ils pu pardonner les cruautés de Maximin , ce tyran qui les considérait comme des opposants politiques et les traitait en conséquence, envoyant leurs chefs les plus respectés pourrir tout vifs dans les bagnes ?

Les Chrétiens furent donc sans doute parmi les premiers à prendre les armes, à égorger tous les suppôts de ce diable incarné de Maximin, et à se réjouir de la pagaille, de l’anarchie et des incendies qui, au début de l’année 238, pendant ces cinq mois de folie furieuse, ravagèrent Rome, la Grande Pute de l’Apocalypse…

Et ce béni oui-oui de Gordien III, seul rescapé du massacre impérial, les remercia de leur zèle en les protégeant et en leur accordant de menues faveurs.