les macriens

Probus

276 – 282
Probus
(Marcus Aurelius Valerius Probus)

À la mort du vieux Tacite, sans doute massacré par ses propres soldats (août 276), deux généraux se disputèrent le trône. Florien, peut-être apparenté au souverain défunt, fut reconnu par l’Occident tandis que les légions d’Orient acclamaient Probus, un général d’origine balkanique, comme quasiment tous les empereurs romains de cette époque.

Nous ne connaissons pas grand-chose de la carrière de Probus avant son accession à l’Empire. En fait, le problème, c’est qu’on peut le confondre – et qu’on l’a souvent confondu – avec un personnage presque homonyme, un certain Tenaginus Probus, qui fut préfet d’Égypte à peu près à la même époque.

Notre Probus, lui, naquit sans doute vers 232, probablement à Sirmium (auj. Mitrovica, en Serbie). Comme beaucoup de jeunes gens de cette région, il entra dans l’armée et y fit carrière. Il devint tribun sous Valérien et accompagna Aurélien dans ses campagnes orientales. C’est à peu près tout ce qu’on sait de lui.

Probus, proclamé empereur par les légionnaires d’Orient, avait encore son trône à conquérir. Or son adversaire Florien semblait disposer de tous les atouts : son autorité avait déjà été reconnue par tout l’Occident romain (Gaules, Bretagne Espagne) ainsi que par le Sénat de Rome ; en outre, son armée était plus nombreuse et ses soldats plus aguerris que ceux de son adversaire. Mais Probus était probablement un des meilleurs stratèges de son temps ! Il refusa systématiquement toute bataille rangée et se limita à des actions de guérilla afin d’épuiser physiquement et moralement la belle armée de Florien, accablée par la chaleur caniculaire des arides plateaux d’Anatolie centrale.

Jamais les soldats (toutes armées confondues) n’apprécièrent les « Pays de la Soif ». Les légionnaires gaulois et germains de Florien ne firent pas exception à cette règle ! Quand, après une marche harassante sous un soleil de plomb, ils parvinrent enfin à Tarse de Cilicie (Sud de Turquie actuelle), ils se mutinèrent contre leur chef et le massacrèrent (septembre 276).

Avec Probus, c’est sans doute l’un des plus talentueux généraux de l’histoire militaire romaine qui monte sur le trône des Césars.
Il serait un peu fastidieux de détailler les campagnes militaires, toutes victorieuses, de Probus. J’irai donc à l’essentiel.

Après avoir châtié les assassins d’Aurélien, Probus revint en Occident avec toutes ses légions. Il passa le Bosphore et arriva sur le Danube où il défit les Goths (277). Ensuite, après un bref crochet par Rome, histoire de faire ratifier ses pouvoirs par un Sénat plus apeuré que jamais et de recevoir le titre honorifique de Gothicus (= « vainqueur des Goths »), il se porta sur la frontière du Rhin. La situation n’y était guère brillante ! Des bandes germaniques (Francs, Alamans, Longions) ne cessaient de franchir le fleuve pour dévaster les riches provinces gauloises. Probus remit prestement de l’ordre dans ce foutoir. De surcroît, l’empereur profita de son passage dans la région pour prendre quelques judicieuses dispositions afin de garantir l’imperméabilité de cette frontière de l’Est si vulnérable. Des forts et des dépôts de vivres furent construits sur la rive droite du Rhin et des mesures furent prises pour rétablir la stabilité économique de Gaule, en particulier en y relaçant la culture de la vigne, interdite depuis Domitien.

En 279, Probus revint vers les provinces danubiennes. Il y affronta les Burgondes et les Vandales, qui furent vaincus et repoussés lors d’une bataille qui se déroula, probablement, sur les rives du Lech (Autriche actuelle). Puis, il repassa de nouveau en Orient.

En Lycie (Sud-Ouest de la Turquie actuelle), Probus combattit des bandits montagnards qui avaient créé un genre d’état indépendant sous la conduite d’un de leur chef, nommé Lydius (ou Palfuérius). Probus liquida le brigand, mais le pays étant peu propice à la pénétration d’une armée en ordre de bataille, il ne put débusquer toutes les bandes de pillards. Il se contenta donc d’entourer la région de places fortes et de villes de garnisons. « Il est plus facile d’interdire à ces brigands de l’introduire dans ces trous à rats que de les en déloger », aurait-il déclaré pour justifier cette politique quelque peu laxiste. (Voir Histoire Auguste, Probus, XVI, 5).

Continuant sa route, Probus arriva en Égypte (280). Les Blemmyes, une peuplade originaire de Nubie, avait envahi le Sud du pays d’où les généraux romains avaient lamentablement échoué à les refouler. L’empereur-soldat, lui, y parvint les doigts dans le nez. Après cette nouvelle victoire, il resta encore un moment en Égypte. Le Pays du Nil venait de subir une décennie de guerres civiles qui avaient presque totalement ruiné l’infrastructure agricole (barrages, canaux, etc…). Or, le blé égyptien, c’était un peu pour Rome ce qu’est aujourd’hui le pétrole pour les économies occidentales : en cas de rupture d’approvisionnement, c’était la cata, l’asphyxie économique sans phrase ! Probus initia donc une politique de grands travaux qui permit d’assurer à nouveau l’exportation régulière des céréales égyptiennes.

probus

Après de si nombreuses victoires, l’empereur romain pensait sans doute que le moment était venu de régler une fois pour toutes son compte à l’ennemi héréditaire, la Perse des Rois des Rois sassanides. Malheureusement, les usurpations de Bonosus, sur le Rhin, et de Proculus, en Gaule, le forcèrent à revenir en Occident. Une fois arrivé sur le théâtre des opérations, Probus se rendit bien vite compte qu’il n’y avait pas péril en la demeure : ces usurpateurs folkloriques ne constituaient pas une réelle menace. La révolte de Bononus fut mâtée par des troupes régionales restées fidèles, tandis qu’une simple démonstration de force venait à bout de celle de Proculus. En attendant, un qui avait profité de cette diversion, c’était le Roi de Perse, mais il ne perdait rien pour attendre…

En octobre 280, Probus célébra à Rome un triomphe somptueux. C’est qu’il avait bien mérité de la Patrie, le Probus : c’est sans doute grâce à lui et à ses victoires militaires que l’Empire survécut encore plus de deux siècles.

Ce qui est plus regrettable, c’est que Probus favorisa aussi l’installation de Barbares sur les frontières de l’Empire.
À court terme, c’était plutôt bien vu ! Ces populations, qui occupaient des territoires dépeuplés, se romaniseraient progressivement, leurs guerriers apprendraient l’art militaire romain et formeraient le premier rempart contre les invasions futures. Cela c’était ce qu’espérait Probus ! Cependant, à long terme, l’initiative de l’empereur se révéla désastreuse : ces peuplades déracinées restèrent comme une épine au flanc de l’Empire. Elles ne se « civilisèrent » que peu, ou pas du tout et, au moment des « Grandes invasions », elles firent cause commune avec les envahisseurs, leurs frères de sang.
Mais cela Probus ne pouvait pas le prévoir…

Outre ses initiatives réglementant l’immigration, l’empereur Probus nous est aussi sympathique par un autre trait de caractère étonnamment moderne. Ce fut un des premiers chefs d’État à mettre l’armée au service des citoyens ! En effet, cet autoritaire général avait une sainte horreur de voir ses troupes désœuvrées. En temps de paix, il les occupait à des travaux d’intérêt général : assèchement de marais, percement de canaux, plantation de vignes, etc… Après toutes ses victoires, Probus aurait même déclaré : « Sous peu, nous n’aurons plus besoin de soldats » – « Brevi milites necessarios non habebimos » (Histoire Auguste, Probus, 20 : 5) – Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette citation n’est pas une invention de l’auteur, souvent farfelu, de l’Histoire Auguste, elle est attestée par tous les historiens antiques.

En prononçant cette petite phrase résolument utopique, sans doute Probus pensait-il que, puisque, désormais, seul l’ennemi héréditaire perse menaçait la sécurité de l’Empire, la paix serait assurée pour très longtemps après son anéantissement… Mais les soldats, qui ne sont pas toujours très futés, ne l’entendirent pas de cette oreille. Pour eux, pas de doute ! après leur avoir ordonné de trimer comme des bourriques à des travaux déshonorants, après les avoir contraints de patauger comme des bêtes de sommes dans des marais infestés de moustiques gros comme des petits avions, après les avoir fait planter des vignes comme de vulgaires cul-terreux gaulois, Probus ne pensait plus qu’à se débarrasser d’eux ! Une fois la campagne de Perse achevée, l’empereur, dans le meilleur des cas, les congédierait sans la moindre gratitude ni la plus petite gratification, et au pire des cas, il les forcerait à bosser dans des bagnes infects où ils crèveraient jusqu’au dernier !

Ces murmures se transformèrent bien vite en hurlements de colère et la révolte gagna tout le campement d’Illyrie où Probus concentrait ses troupes en vue de sa campagne de Perse.

L’empereur, aux abois, parvint à se réfugier dans une tour d’assaut, mais les soldats révoltés incendièrent l’édifice. Probus, à moitié étouffé, presque carbonisé voulut échapper au brasier et fut massacré par les mutins dès qu’il mit le nez dehors. (Septembre ou Octobre 282)

Il paraît que les soldats, regrettant, mais un peu tard, leur mauvaise humeur, édifièrent sur les lieux mêmes du massacre un grandiose monument à la mémoire de l’empereur qu’ils avaient passé au hachoir.
Larmes de crocodile que tout cela…

Pour en terminer avec Probus, je ne puis passer sous silence un exploit qu’accomplirent quelques-uns de nos ancêtres francs sous son règne.

Comme nous l’avons signalé plus haut, l’empereur Probus avait renforcé la défense de son empire en déportant systématiquement les Barbares vaincus aux frontières.
Une horde de Francs n’eut guère de chance ! Au lieu d’être affectée à la garde du Rhin, de la Moselle, voire du Danube, elle se retrouva cantonnée au diable Vauvert, à l’embouchure du Don, sur les rives de la Mer d’Azov. Les hommes du Nord devaient, théoriquement, y protéger les riches colonies romaines des incursions des nomades d’Asie centrale.

Bien vite, les étendues désertiques des steppes ou les marais de Crimée, infestés de moustiques, lassèrent les guerriers francs. « Plutôt mourir que de rester un jour de plus dans un tel enfer ! » songèrent-ils et ils retournèrent leurs glaives contre leurs gardiens.
Leur vengeance assouvie et leur liberté de mouvement recouvrée, les Francs s’emparèrent de vieilles barques et entamèrent un long périple maritime à travers toute la Méditerranée, semant l’effroi partout où ils accostaient. Ils ravagèrent successivement les rivages de l’Asie mineure, de la Grèce, du Sud de l’Italie, de Sicile, de l’Afrique du Nord, passèrent les Colonnes d’Hercule (Détroit de Gibraltar) et affrontèrent les lames de l’Atlantique, les tempêtes du Golfe de Gascogne et les perfides courants de la Manche pour retrouver enfin l’embouchure du Rhin, leur chère patrie.

Un exploit maritime retentissant et une épopée guerrière héroïque ! (À ce sujet, voir aussi Edward Gibbon, Histoire du Déclin et de la Chute de l’Empire romain, I, 12).