407 – 411
Constantin III
(Flavius Claudius Constantinus)
En 407, les légionnaires de (Grande-)Bretagne se mirent à élire des empereurs à tour de bras. Il faut dire que la pression barbare allait toujours s’accentuant, que Rome était bien loin, et que, tels les carabiniers d’Offenbach, les renforts arrivaient souvent trop tard… quand ils arrivaient ! Attaqué de toutes parts, l’Empire romain d’Occident aux abois envisageait même de rapatrier les légions encore stationnées aux frontières les plus aventurées pour mieux concentrer ses ultimes efforts militaires sur la défense de l’Italie. C’est dire que l’Aigle impériale romaine avait du plomb dans l’aile !
Considérant qu’ils n’avaient plus rien de bon attendre de Rome, les soldats de Britannia proclamèrent donc un empereur qui pourrait mieux prendre en compte leurs intérêts et assurer la défense de l’île plus efficacement que l’incapable, peureux et velléitaire Honorius. Ils choisirent d’abord un certain Marcus, mais celui-ci fut exécuté par ses soldats après seulement quelques semaines de « règne ». Pour le remplacer, les inconstants légionnaires bretons acclamèrent un autre militaire nommé Gratien. Lui aussi fut trucidé par ses électeurs et ne régna que quatre mois.
constantin III
On prétend que les soldats constatèrent alors avec une joie mêlée de stupeur que l’un de leurs camarades, un simple soldat, portait le même nom que ce grand empereur qui, un siècle plus tôt, avait été acclamé par les légions de Bretagne avant de devenir le maître suprême du monde romain et d’y imposer la Foi chrétienne. En effet, ce bidasse anonyme s’appelait Constantin, comme l’autre, celui que l’on surnommait à juste titre « le Grand » !
« Oh, quelle heureuse surprise ! quelle extraordinaire coïncidence ! s’écrièrent alors les légionnaires, ravis. Que voilà un nom de bonne augure, prometteur de gloire et richesse ! » Et d’acclamer unanimement le troufion ébahi qui devint, de par la volonté de ses frères d’armes et avec son nom comme seule garantie de son génie militaire ou de sa vertu chrétienne, Constantin III, empereur romain d’Occident.
Oui, bon, naturellement, il ne faut pas accorder trop de crédit à cette anecdote. À l’instar de ses malchanceux prédécesseurs Marcus et Gratien, ce Constantin était probablement un officier supérieur, et le récit de sa désignation « accidentelle » n’est sans doute rien d’autre qu’une fable calomnieuse, que de la propagande « anti-constantinienne » propagée par l’entourage de l’empereur légitime Honorius.
Bien que le Constantin eût été « élu » pour protéger la Bretagne des invasions, son premier soin fut de se rendre sur le continent afin d’y faire reconnaître son autorité.
Paradoxe ?
Non, instinct de survie ! Ses prédécesseurs avaient été assassinés parce que leurs troupes étaient restées trop longtemps inactives ; mais Constantin, lui, ses braves, il allait les emmener au casse-pipe, les jeter dans la bagarre, là où ils auraient mieux à faire que de s’occuper de politique.
Il s’embarqua avec quelques troupes d’élite, traversa la Manche, débarqua près de Boulogne et somma les cités gauloises (du moins celles qui n’avaient pas été détruites, ravagées ou ruinées par le déferlement incessant des hordes barbares) de se soumettre à son autorité. Toutes obtempérèrent illico… Qu’auraient-elles pu faire d’autre ?
Malgré la résistance de certains parents de feu l’empereur Théodose (qui furent vaincus dans les Pyrénées et exécutés à Arles), l’Espagne reconnut également l’autorité de Constantin III. Celui-ci confia aussitôt le gouvernement de cette province à son fils aîné Constant qu’il avait pris comme associé (nommé César dès 408, Auguste vers 409).
L’usurpateur Constantin semble avoir aussi remporté quelques succès contre les Barbares, mais on ne sait exactement si la retraite (très provisoire d’ailleurs) de certaines tribus germaniques fut acquise à grands coups d’épée ou achetée à grand renfort de pièces d’or.
Tout faible qu’il fut, l’empereur légitime Honorius tenta de récupérer les provinces occidentales de son Empire. Il ordonna au général Sarus, un Goth passé au service de Rome, de lui ramener la tête (préalablement coupée, ça va de soi) de l’usurpateur breton et de la jeter à ses pieds. Mais Constantin s’enferma dans l’imprenable forteresse de Vienne. À sept reprises, le général « romain » Sarus tenta de l’en déloger, mais ses efforts restèrent vains et il fut contraint de battre en retraite à travers les Alpes. L’empereur breton le suivit et pénétra en Italie à la tête de ses troupes, sous le fallacieux prétexte de secourir Rome alors menacée par les hordes d’Alaric. Il poussa jusqu’à la vallée du Pô, mais dut revenir précipitamment en arrière pour faire face à une nouvelle menace…
Le général Gérontius, qui gouvernait l’Espagne au nom de Constant, resté en Gaule auprès de son cher papa, profita de l’absence de l’héritier du trône pour offrir la couronne impériale à un de ses amis, un certain Maxime, qu’il installa confortablement dans un palais de Tarragone. Ensuite, Gérontius rallia à la cause de son empereur fantoche des bandes de Barbares (Suèves, Vandales, Alains) qui se trouvaient en « chômage technique » après avoir pillé l’Espagne de fond en comble. Puis, en brillant stratège qu’il était (il paraît que Constantin lui était redevable de la plupart de ses victoires), il traversa les Pyrénées, battit devant Vienne l’armée rassemblée en hâte par Constant, tua celui-ci, et força son père à s’enfermer dans Arles, sa capitale.
Cependant, tout habile tacticien qu’il fut, Gérontius ne put mener ce siège à bien : l’annonce de l’arrivée imminente d’une puissante armée romaine, commandée par le célèbre et redouté général Constance (futur mari de la célèbre Galla Placidia et père de l’empereur Valentinien III) démoralisa même ses plus fervents partisans. Ses effectifs fondirent comme neige au soleil. Pris en tenaille entre Constantin et Constance, Gérontius put toutefois s’échapper du piège et revenir en Espagne, mais il y fut tué par ses propres soldats peu de temps après. Quant à sa créature, l’empereur-fantoche Maxime, il fut livré à l’empereur Honorius, exhibé à Ravenne puis à Rome, et finalement exécuté.
maxime
L’irruption de l’armée de Constance, qui avait dans un premier temps sauvé Constantin III, sonna finalement le glas de ses espérances. Le valeureux général romain était venu en Gaule pour restaurer le pouvoir de Rome en Occident, et il disposait des moyens militaires pour mener sa mission à bien. De son côté, l’usurpateur breton, affaibli par la révolte de Gérontius, ne pouvait songer à résister seul. En désespoir de cause, il conclut une alliance criminelle avec des bandes de Francs et d’Alamans. Ces Barbares tentèrent de contraindre les assiégeants à lever le siège d’Arles, mais la cavalerie de Constance écrasa les dangereux alliés de Constantin dans la vallée du Rhône.
C’était fini ! Constantin III négocia sa reddition : la vie sauve contre la ville d’Arles. Pour plus de sûreté, et bien que la loyauté du général romain fût proverbiale, l’usurpateur exigea d’être ordonné prêtre afin que toute atteinte à sa personne soit considérée comme un sacrilège. Constance accepta ces conditions. Les portes d’Arles s’ouvrirent, Constantin reçut l’onction sacerdotale et fut envoyé en Italie sous bonne garde. Mais l’empereur Honorius, vicaire de Dieu sur terre, ne se considérait lié ni par la parole de Constance ni par les lois de l’Église ; il fit exécuter Constantin III (et Julien, son deuxième fils) dès qu’il eut franchi les Alpes. (18 novembre 411)