268 – 270
Claude II « le Gothique »
(Marcus Aurelius Claudius Gothicus)
Au début de l’année 268, le général Aureolus, militaire compétent mais ambitieux, profita de l’absence de Gallien, parti repousser une nouvelle incursion des Goths sur le Haut Danube, pour ceindre la couronne radiée des Césars en Italie.
Rassemblant ses troupes, l’empereur légitime marcha contre l’usurpateur et, à mi-chemin de Milan et de Bergame, lui infligea une sévère défaite près d’un pont sur l’Adda, affluent du Pô. Aujourd’hui encore, le lieu-dit Pontirole (Pons Aureoli) rappelle cette bataille.
Bien que battu, Aureolus courut s’enfermer dans la place forte de Milan avec les survivants de son armée.
Gallien, tenace, mit aussitôt le siège devant la ville… et tomba sous le poignard d’assassins.
Les historiens antiques s’attardent peu sur les détails de cette conspiration. Cependant, comme pour mieux diffamer un souverain déjà abondamment calomnié, ils prétendent que l’empereur fut victime de sa pusillanimité coutumière. Contre toute vraisemblance, ces auteurs rapportent que, malgré sa victoire, il pensait conclure une paix de compromis avec Aureolus, l’usurpateur vaincu, et que c’est pour cela que ses soldats, indignés qu’il veuille les priver du fruit de leur victoire, se seraient mutinés et l’auraient assassiné.
Ces auteurs rapportent aussi qu’aucun des deux successeurs de ne participa au complot. Ni Claude le Gothique, ni Aurélien !
Ça, c’est une vaste blague !
En réalité, Claude, qui était l’un des meilleurs généraux de Gallien se trouvait effectivement près de Milan au moment du meurtre de son commandant en chef. Mais les vieux chroniqueurs qui nous ont rapporté ces événements écrivaient tous sous le règne des descendants de Constantin le Grand. Or le grand Constantin avait eu pour mère une ancienne esclave chrétienne. Il avait donc tenu à astiquer le pâle éclat de sa naissance ignoble en revendiquant Claude le Gothique pour ancêtre. Ça aussi c’était une imposture, mais, pour nos braves historiens, mieux valait éviter de noircir la mémoire posthume de que celle de Claude II, le fondateur « officiel » de la prestigieuse dynastie constantinienne !
En fait, tout porte à croire que Gallien, aristocrate issu du Sénat, fut victime d’un putsch militaire. Les conspirateurs, tous de rudes officiers originaires des provinces balkaniques, avaient bien dû se rendre à l’évidence : tout capable et consciencieux qu’il fût, jamais un civil comme lui ne parviendrait à mettre fin à l’anarchie militaire et aux sécessions qui déchiraient l’Empire. Pour rétablir la situation, il fallait la poigne d’un soldat de métier, d’un général expérimenté, craint des soldats et respecté de ses pairs. C’était le général Claude qui répondait le mieux à tous ces critères…
massacré (septembre 268), le nouvel empereur Claude se débarrassa aisément de l’usurpateur Aureolus qui fut assassiné dans Milan.
Ce rival potentiel écarté, Claude démontra ses qualités de stratège en écrasant près du lac de Garde des bandes de Barbares, en l’occurrence des Alamans, qui s’étaient aventurées en Italie du Nord.
Fort de succès, il se rendit ensuite à Rome pour recevoir l’investiture du Sénat de la Ville.
Cette formalité accomplie, Claude rassembla toutes les forces disponibles et marcha sur les Balkans afin de régler leur compte, définitivement l’espérait-il, à ces Goths qui ravageaient périodiquement les provinces danubiennes.
Dès 268, la victoire de Naissus (aujourd’hui, Nish en Serbie), très difficilement acquise, très peu décisive, mais fort habilement exploitée par la propagande impériale, permit à l’empereur Claude de gagner son glorieux surnom de « Gothique ». Cependant, il fallut encore aux légions romaines plusieurs mois de dures campagnes et d’escarmouches sanglantes pour liquider les bandes errantes de Barbares et détruire la flotte avec laquelle les Goths ravageaient les côtes de Grèce et d’Asie mineure. Ce n’est finalement que vers l’année 270 que les Goths furent refoulés à l’Est du Danube.
Les Romains, vainqueurs, allaient-ils enfin pouvoir respirer ?
Certainement pas !
Au mois d’août de cette année 270, et alors qu’il semblait voué à un règne long et glorieux, l’empereur Claude le Gothique s’éteignait à Sirmium (auj. Mitrovica, en Serbie), victime de l’épidémie de peste qui décimait son armée.
aureolus
(À noter que, selon certains historiens, Claude le Gothique n’aurait pas été le seul empereur romain de cette époque à mourir dans son lit, mais qu’il serait mort les armes à la main en luttant contre les Goths. Cela reste controversé)
Le règne de Claude le Gothique avait été trop court.
Assurément, il avait pu régler, au moins provisoirement, le problème des Goths, mais le temps lui avait manqué pour s’occuper des deux autres graves questions qui minaient le pouvoir de Rome : la sécession de l’Empire « romain » des Gaules et les velléités indépendantistes du Royaume de Palmyre.
Sur les frontières du Rhin, l’éphémère « Empire romain des Gaules » périclitait doucement. Postumus, le premier « empereur gaulois », avait été assassiné. Après l’inévitable guerre civile qui avait suivi, et les usurpations de deux généraux ambitieux (Laelianus et Marius), le pouvoir échut finalement à un certain Victorinus, préfet du prétoire du défunt Postumus. Celui-ci ne règnera que deux ans avant d’être, lui aussi, assassiné par ses propres troupes.
Mais si l’Empire sécessionniste gaulois s’étiolait, épuisé par les luttes intestines, ce n’était pas le cas du Royaume de Palmyre qui montrait d’inquiétants signes d’indépendance vis-à-vis de Rome. Bien sûr, pour la forme, les monnaies de Palmyre continuaient encore à être frappées au nom de l’empereur romain, mais cette sujétion n’était plus guère que théorique. Sans en référer à personne la reine Zénobie gouvernait, au nom de son fils Vaballath, la plupart des provinces orientales de l’Empire et songeait même à envahir la fertile Égypte, jusque-là domaine personnel de l’empereur romain.
Force fut à Claude le Gothique, tout à ses campagnes balkaniques, de s’accommoder de ces pouvoirs rivaux. Il n’avait pas le don d’ubiquité et devait respecter des priorités – la première de celles-ci étant de mettre le territoire italien à l’abri des invasions barbares.
zénobie
Puisque nous savons que Claude n’eut pas le loisir de s’occuper de menaces aussi sérieuses que les ambitions de la reine de Palmyre, nous devons bien admettre qu’il n’eut certainement pas le temps non plus de modifier la politique de tolérance religieuse initiée par son prédécesseur . Sous son règne, les Chrétiens restèrent donc à l’abri de toute poursuite. Quant aux inévitables récits de martyres imputés au règne du « Gothique », ce ne sont que des légendes hagiographiques, toutes plus fantaisistes les uns que les autres.
Un de ces saints martyrs imaginaires de l’époque de Claude a pourtant atteint un tel degré de notoriété qu’il m’est impossible de ne pas évoquer sa destinée ici, ne serait-ce que brièvement. Il s’agit du célèbre saint Valentin, patron des amoureux.
L’empereur Claude, rude militaire païen, avait édicté une loi inique et barbare : sous prétexte de ménager les forces vives des jeunes gens en âge de combattre, il leur avait interdit le mariage. Or, le prêtre Valentin avait gravement contrevenu à cette prescription antinataliste. Certains prétendent, qu’il avait lui-même convolé en justes noces avec une charmante donzelle dont il s’était follement épris. D’autres racontent, qu’il bafouait l’édit impérial en mariant à tour de bras tous les jeunes gens qui lui en faisaient la demande, que son église, envahie de couples amoureux, c’était Las Vegas, casinos en moins !
Quoi qu’il en soit, le bon prêtre Valentin, sans doute dénoncé par quelque prétendant évincé, fut amené à comparaître devant l’empereur Claude.
Tout d’abord, le souverain fut vivement impressionné par la sainteté exubérante de ce personnage qui l’exhortait éloquemment à changer de religion : « Adore Notre Seigneur Jésus-Christ, lui serinait Valentin, et ton âme sera sauvée, ton royaume s’agrandira et tu remporteras la victoire sur tous tes ennemis ». Et l’empereur, séduit, de faire remarquer à l’assistance : « Écoutez comme cet homme parle avec droiture et sagesse ! ». Mais les païens ignares qui assistaient à l’audience restaient sourds aux exhortations pieuses de Valentin. Constatant avec irritation que leur souverain se laissait prendre au baratin du cureton chrétien, ils commencèrent à murmurer, mettant solennellement leur souverain en garde : « Comment peux-tu envisager de nous faire renoncer à tout ce à quoi nous tenons depuis notre plus tendre enfance ? ».
Ces paroles menaçantes dissipèrent l’extase sacrée qui avait envahi l’âme de l’empereur. Sortant de sa torpeur, Claude appela un de ses plus cruels officiers et lui ordonna de s’emparer de Valentin, de l’enchaîner et de l’emmener hors les murs afin de le décapiter.
Le militaire-bourreau ne put retenir une grimace de dépit. De longue date, il avait promis à son épouse, une commère plutôt du genre acariâtre, de passer cette soirée-là en famille. S’il ne rentrait pas en temps et heure, Madame l’officière allait encore imaginer des tas de choses !
Et l’officier réfléchit : « Je ne vais quand même pas aller raconter à Germaine que je suis en retard parce que l’empereur m’a ordonné d’aller en banlieue couper le cou de saint Valentin ! Pauvre de moi… Jamais elle ne gobera une excuse aussi idiote ! Alors, mieux vaut affronter la colère de l’empereur que celle de bobonne ! Je sais bien que Germaine n’apprécie pas trop que je ramène du travail à la maison, mais je vais quand même faire un petit détour par chez moi. Ça c’est la bonne idée ! Je passe en vitesse par la maison, Bobonne voit ce qu’il en est réellement, elle constate de visu pourquoi je serai en retard et comme ça, moi, j’évite le rouleau à pâtisseries !… » »
Sa résolution prise, ce fut donc en traînant les pieds et le saint enchaîné que l’officier franchit le seuil de son logis. « Seigneur Jésus, toi qui es la véritable lumière, éclaire cette maison ! » s’exclama étourdiment Valentin en pénétrant dans la demeure de son bourreau.
On peut être un bon officier, dans l’armée romaine ou ailleurs, et être un peu lourd. C’était le cas de notre homme. N’ayant pas bien compris toute la force métaphorique et métaphysique du propos de Valentin, le peu subtil militaire, très « premier degré », s’étonna bêtement : « Comment sais-tu que ma fille unique et préférée est aveugle de naissance ? Décidément, vous autres les prêtres chrétiens, vous méritez bien votre réputation de magiciens hors pair ! Tiens, j’y pense, puisque tu es si fort, tu pourrais peut-être faire quelque chose pour elle ? Ce ne devrait pas être très difficile pour toi, puisque tu sembles être à tu et à toi avec ton Dieu ! »
Valentin, compatissant, s’exécuta. Il implora le Seigneur et aussitôt, la donzelle fut guérie.
Après un tel miracle, l’officier, naturellement, se convertit, ainsi que toute sa maisonnée… Et l’empereur Claude le Gothique fut contraint de trouver un autre bourreau, qui n’avait pas d’enfant malade chez lui, et qui trancha fort habilement la tête de saint Valentin.