Jean

423 – 425
Jean
(Johannès)

On ne sait pas grand-chose de ce Jean (Johannès) avant sa malheureuse aventure impériale. Certains historiens ont cru pouvoir l’identifier à un personnage homonyme, impliqué d’une façon assez obscure, mais réelle, dans l’usurpation d’Eugène (392-394), qui aurait pris part à des négociations entre chef Wisigoth Alaric et l’empereur Honorius avant le sac de Rome (410), et qui aurait enfin rempli les fonctions de préfet du prétoire. Mais en vérité (voir ici : Clic !), le Jean qui devint empereur apparut brusquement sur le devant de la scène de l’Histoire en 423, alors qu’il occupait le poste de primicerius notariorum (= « premier des notaires », c’est-à-dire, en fait, « premier secrétaire ») de la cour de Ravenne. Ce haut fonctionnaire était, paraît-il, doté d’un caractère d’une grande douceur… ce qui, vu la dureté des temps où il vécut, ne constituait certes guère un gage de longévité !…

Le 15 août 423, Honorius mourut, laissant le trône impérial d’Occident vacant. Son plus proche parent, son neveu Valentinien (fils de sa sœur, la célèbre Galla Placidia – celle du Mausolée de Ravenne), aurait dû lui succéder sans contestation possible. Mais ce n’était hélas pas si simple ! Ce Valentinien, ce n’était qu’un gamin, un « empereur en pampers”, qui venait à peine de fêter son quatrième anniversaire. De surcroît, il résidait (évidemment avec sa mère Galla Placidia) à Constantinople… Précisément chez son plus grand rival, l’empereur d’Orient Théodose II qui rêvait précisément de profiter de la mort d’Honorius pour réunifier l’Empire romain à son propre compte.

Pour concrétiser ses ambitions, Théodose chargea officiellement le magister militum (chef des armées) Castinus de gouverner en son nom l’Occident romain.
Le petit Valentinien semblait donc mis définitivement sur une voie de garage.

C’était compter sans sa mère Galla Placidia, une femme énergique s’il en fut ! Elle poussa l’un de ses bons amis, le comte d’Afrique Boniface, à brandir la menace d’un blocus céréalier de l’Italie. Plus un grain de blé africain ne parviendrait dans la Péninsule si les droits du jeune Valentinien n’étaient pas reconnus.

Pris entre le marteau et l’enclume, entre les foudres guerrières de Castinus, le factotum de Théodose, et la famine promise par Boniface, les fonctionnaires impériaux de Ravenne paniquèrent. Optant en désespoir de cause pour la fuite en avant, ils choisirent comme empereur l’un d’entre eux : notre doux notaire Jean. Cette nomination fut aussitôt soutenue par Ætius – un chef d’armée dont l’étoile commençait à monter -, ce qui poussa Castinus, dangereusement isolé, à embrasser la cause du rival de l’empereur d’Orient Théodose, son bailleur de fonds. L’autorité de Jean fut donc aisément reconnue en Gaule, en Espagne et en Italie, mais évidemment pas en Afrique, où le comte Boniface restait irréductiblement fidèle à Valentinien III (et à la belle Galla).

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la situation de Jean n’était pas des meilleures. L’armée, commandée par ce Castinus, ce sympathisant de la onzième heure, était très loin d’être sûre. Quant au peuple, privé de blé par Boniface, il commençait à « regimber grave » (comme on dirait de nos jours). L’usurpateur tenta donc une ouverture diplomatique du côté de la cour de Constantinople. Après tout, si l’empereur d’Orient avait accepté que Castinus gouverne l’Occident en son nom, pourquoi ne l’accepterait-il pas, lui, Jean, comme collègue ? Mais Théodose II tourna casaque. Sans doute dûment circonvenu par la belle Galla Placidia, il décida finalement de reconnaître Valentinien III comme unique et légitime empereur romain d’Occident. Aussitôt, deux armées furent rassemblées pour reconquérir le trône de son jeune neveu : l’une, commandée part Aspar, marcherait sur l’Italie en traversant les Balkans ; l’autre, « force amphibie » sous la direction d’Ardabur (père d’Aspar), rejoindrait la péninsule italique par mer. (Hiver 424-425).

galla placidia

Jean paniqua. Afin de repousser les envahisseurs orientaux, il libéra et arma des esclaves, puis il chargea Ætius de se rendre chez les Huns afin d’y recruter des escadrons entiers de ces cavaliers exotiques qui épouvantaient le monde civilisé.
Il faut dire que Flavius Ætius, alors âgé de trente-trois ans, était parfaitement qualifié pour cette mission : les Huns, il les connaissait bien puisque, dans sa jeunesse, il avait séjourné chez leur Khan comme otage. Il aurait d’ailleurs profité de cette situation personnelle plutôt pénible d’abord pour connaître ce peuple exotique mieux que n’importe quel Romain cultivé, et ensuite pour se lier d’amitié avec Attila, le Fléau de Dieu, son futur adversaire, celui qu’il forcera à battre en retraite lors de la mémorable bataille dite des Champs Catalauniques (plus exactement bataille du Campus Mauriacus – 451).

À partir de ce moment, l’histoire de Jean devient un peu floue.
Il semblerait que la flotte de Théodose II ait été durement éprouvée par une tempête et que son chef Ardabur ait été fait prisonnier. On raconte que Jean traita fort humainement le général ennemi. Il est vrai que l’usurpateur, tout auréolé de ce succès (qui ne devait pourtant pas grand-chose à ses talents militaires) pouvait encore espérer s’accommoder avec l’empereur d’Orient.

Quoi qu’il en fût, tout prisonnier qu’il fut, et tout reconnaissant de la magnanimité de Jean qu’il eût dû être, cet Ardabur commença à comploter derrière le dos de son vainqueur et geôlier. Alors que Jean tentait d’organiser la défense de l’Italie – car du côté des Balkans les forces terrestres fidèles à Galla Placidia et au jeune Valentinien progressaient toujours -, le ci-devant commandant des Marines de Théodose parvint à convaincre certains hauts fonctionnaires de trahir le maître qu’ils s’étaient choisis. Jean fut destitué, enchaîné et livré aux Orientaux qui étaient déjà parvenus à Aquilée (Nord-Est de l’Italie). Sur l’ordre de Galla Placidia, on lui coupa la main droite, puis on le hissa sur un âne pour l’exhiber dans le cirque où il fut enfin exécuté (mai 425).

Trois jours après ce cruel règlement de comptes, Ætius surgit en Italie, accompagné d’une puissante armée de Huns – on parle de soixante mille barbares. Face à cette menace mortelle, les conseillers de Valentinien III préférèrent traiter : ils achetèrent la retraite de l’armée de secours de Jean en payant un confortable tribut à la soldatesque hunnique. Quant à Ætius, il se vit offrit, en guise de dédommagement, le titre de comes (= « comte » – ou plutôt « compagnon de l’empereur »).

Finalement, d’une certaine façon, la morale était sauve : la loyauté – même post-mortem – d’Ætius envers Jean avait été récompensée…