Maximien

286 – 305 et 306 – 310
Maximien « Hercule« 

(Marcus Aurelius Valerius Maximianus)

Même s’il s’agit de deux grands soudards – et, paraît-il, de deux grosses brutes qui persécutèrent les pauvres Chrétiens – il faut se garder de confondre ce Maximien Hercule avec Maximin le Thrace, cet autre empereur d’origine balkanique.

Maximien Hercule, de son vrai nom Marcus Aurelius Valerius Maximianus, naquit dans les années 250, et sans doute, tout comme son compatriote et ami, l’empereur Dioclétien, près de Salone (auj. Split en Croatie). Maximien, né dans une famille de pauvres paysans, entra très jeune dans l’armée. Il servit sous les empereurs Aurélien et Probus, puis il accompagna Carus dans son expédition contre les Perses de 283. Sans doute se trouvait-il à Nicomédie avec Dioclétien quand, le 20 novembre 284, cet ami de toujours et compagnon d’armes, fut proclamé d’empereur en remplacement de Numérien, mort dans des circonstances mystérieuses.
maximien hercule

Dès novembre 285, Dioclétien octroya à son « pays » Maximien la dignité de César (= empereur adjoint), puis l’expédia en Gaule. Il s’agissait de lutter contre les Bagaudes, ces paysans accablés d’impôts, ruinés et révoltés qui, depuis une vingtaine d’années, ravageaient les campagnes.

Pour un militaire du calibre de Maximien, cela ne semblait pas une tâche insurmontable que de massacrer ces bandes désorganisées de va-nu-pieds. Pourtant, ce fut loin d’être aussi simple ! D’horribles représailles, d’innommables massacres et de sanglantes batailles rangées s’avérèrent nécessaires pour venir à bout de ces pauvres bougres désespérés. Après un ultime carnage au confluent de la Marne et de la Seine, où les dernières bandes bagaudes furent massacrées, Maximien jugea la question réglée. Il fit aussitôt part de ses succès Dioclétien, son supérieur hiérarchique. Pour le récompenser, celui-ci promut son vaillant César au rang d’Auguste, ce qui conférait à Maximien une dignité presque égale à la sienne. Seule différence, le nouvel Auguste n’était réputé être « que » la manifestation terrestre d’Hercule (Maximien Hercule – Maximianus Herculius) tandis que, privilège du grade, Dioclétien se prétendait l’incarnation de Jupiter, père de tous les dieux (Dioclétien « Jovien » – Diocletianus Jovius).
Outre son intérêt politique (renforcer la stabilité de l’institution impériale en la divinisant), cette auto-glorification n’était pas dépourvue d’une certaine logique mythologue : à l’instar du demi-dieu Hercule, qui avait donné un si sérieux coup de main à son père Jupiter lors sa lutte contre les Titans, Maximien Hercule n’aidait-il pas le Jovial Dioclétien à prémunir l’Empire de ses ennemis internes et externes ?

En outre, par souci d’efficacité, Dioclétien « dispatcha » les tâches entre les deux Augustes : Maximien s’occuperait des provinces occidentales de l’Empire tandis que lui-même se réservait l’Orient. (286). En quelque sorte, l’institution impériale, désormais divinisée, jouissait également du don d’ubiquité des dieux ! Il était cependant bien entendu que l’Empire romain restait un et indivisible, et que Dioclétien en étant le chef suprême, aussi incontesté qu’incontestable !

Maximien s’installa à Mayence et repoussa péniblement une invasion d’Alamans (automne 286). Il commit ensuite une grosse erreur en confiant à Carausius le commandement de la flotte de Bretagne, basée à Boulogne. Ce Carausius, c’était un excellent soldat issu de tribu belge des Ménapiens, donc, grosso modo, un ancêtre de mes compatriotes flamands. Mais comme ce Ménapien était aussi cupide qu’ambitieux, il fit tout le contraire de ce qu’on attendait de lui : au lieu de protéger les côtes gauloises et bretonnes des pirates francs, il se garda bien d’importuner les pillards. Il les laissait passer sans encombre au large du Pas-de-Calais pour ne les attaquer qu’au retour, quand leurs navires étaient pleins de butin à ras bord. Carausius considérait alors ces trésors comme autant de prises de guerre, et les trésors volés en Gaule venaient s’entasser dans ses coffres sans fond.

Maximien condamna Carausius à mort, mais celui-ci n’en eut cure. Mieux, il rallia à sa cause les légions de (Grande-)Bretagne se fit proclamer empereur (287).
À ce moment, Maximien était occupé sur le Rhin à repousser des invasions successives d’Alamans, de Frisons, de Burgondes, de Savons et de Francs. Quant à Dioclétien, il se trouvait en Orient où il tentait de régler, manu militari, le vieux contentieux de Rome avec son ennemi héréditaire perse. Bref, pour l’instant, les deux Augustes ne pouvaient faire pièce aux ambitions de Carausius… Ils firent donc contre mauvaise fortune bon cœur et, moyennant l’envoi de régulier de céréales britanniques dans les provinces gauloises, reconnurent – provisoirement s’entend – la souveraineté de Carausius sur la Bretagne. (290).

carausius

La situation militaire et politique évolua en 293. Afin de renforcer encore davantage la sécurité des frontières et la stabilité du régime, Dioclétien décida d’adjoindre deux Césars, c’est-à-dire deux empereurs-adjoints, aux deux Augustes régnants (lui-même et notre herculéen Maximien). C’était l’instauration de la Tétrarchie (= gouvernement de quatre souverains). Dioclétien s’attacha les services de Galère tandis que Maximien se voyait désormais flanqué de Constance Chlore, un autre général d’origine balkanique.

Ce système tétrarchique, fruit des circonstances plus que d’un plan préétabli deDioclétien, était destiné, nous l’avons dit, à assurer une meilleure défense des frontières : un « empereur », César ou Auguste, pouvait désormais intervenir en personne aux quatre coins de l’Empire. C’était aussi la réponse originale de Dioclétien à ces usurpations en chaîne qui, depuis le milieu du IIIe siècle, minaient l’Empire. Afin que les successions impériales s’effectuent désormais sans hiatus funeste ni conflits fratricides, l’empereur avait en effet prévu qu’au bout de vingt ans de règne, chaque Auguste s’effacerait au profit de son César. Celui-ci, promu au rang d’Auguste, choisissait alors un nouveau César qui, le moment venu, le remplacerait…
La désignation d’un empereur devenant une simple « promotion dans la hiérarchie militaire », elle ne pouvait que s’effectuer dans l’ordre et la discipline !

Afin de sceller l’alliance entre l’Auguste d’Occident et son César, Constance Chlore épousa Théodora, la fille aînée de Maximien. (Dix ans plus tard, Constantin fils de Constance Chlore, épousera Fausta, fille cadette de Maximien).

L’avènement de Constance Chlore aux côtés de Maximien sonna le glas de l’Empire romano-breton de Carausius. Pendant que l’Auguste Hercule repoussait à, nouveau des tribus germaniques (Francs, Alamans) qui menaçaient la frontière du Rhin, son César Constance récupérait le Nord de la Gaule avec le port stratégique de Boulogne (293). Cependant, il lui fallut encore trois ans pour mettre un terme à la sécession de la (Grande-)Bretagne où Allectus, un lieutenant de Carausius, avait pris la succession de son chef après l’avoir assassiné.

Entre 297 et 299, alors que Constance continuait à surveiller la Gaule et la Bretagne, Maximien, après avoir vaincu d’autres Germains (les Carpes) sur le Danube, se rendit en Espagne puis en Afrique du Nord. Les tribus mauresques déjà soumises (les « Quingentanei ») s’y étaient révoltées. Elles avaient même reçu l’appui des Maures qui nomadisaient au-delà des frontières de l’Empire (les « Bavares »). Dans ces contrées (aujourd’hui Nord du Maroc et de l’Algérie), malgré les efforts des gouverneurs locaux, l’autorité de Rome n’était plus reconnue qu’à l’intérieur d’une étroite bande côtière. Peut-être même les Maures avaient-ils franchi les Colonnes d’Hercule (= Détroit de Gibraltar) pour s’en venir ravager les vieilles et riches provinces romaines d’Espagne.

constance

Maximien mâta la révolte des « Quingentanei » et repoussa les « Bavares » dans leur Sahara natal. Il resta encore un moment en Afrique afin de renforcer les défenses romaines en Maurétanie et en Libye. Ces dispositions prises, l’Auguste Occident estima que le moment était venu pour lui de souffler un brin. Ça faisait si longtemps qu’il était sur la brèche ! Laissant alors le plus gros du travail à son subalterne Constance Chlore, notre Hercule rentra en Italie pour s’installer confortablement à Milan et s’y livrer sans retenue aux innocents et relaxants plaisirs du farniente.

Lorsque les édits de persécution contre les Chrétiens furent publiés (303), Maximien, comme d’ailleurs son César Constance, ne les appliqua qu’avec une mollesse extrême… Du moins en Italie et en Gaule où il se contenta, çà et là, de faire détruire l’une ou l’autre église. En revanche, en Afrique du Nord, là où la révolte des Maures venait d’être réprimée, la répression fut, semble-t-il, plus beaucoup sévère. (Voir ci-dessous).
À cette époque où les rapports entre les tétrarques étaient encore excellents, l’attitude (relativement) modérée de notre Hercule reste inexpliquée tant elle contraste violemment avec celle de Galère, l’adjoint de Dioclétien pour l’Orient, qui, dans les territoires qu’il contrôlait, multipliait les exactions à l’encontre des Chrétiens. En outre, Maximien, contrairement à Constance Chlore, n’avait pas de concubine chrétienne (en l’occurrence sainte Hélène, mère de Constantin) pour modérer des fureurs qui ne lui étaient que trop coutumières.

Le 1er mai 305, Dioclétien et Maximien Hercule renoncèrent conjointement à la pourpre.
Dioclétien, diminué par de très sérieux problèmes de santé, aspirait profondément à une retraite bien méritée. Pas Maximien ! En pleine possession de ses facultés physiques et mentales, l’Auguste d’Occident, plus herculéen que jamais, se sentait apte à gouverner l’Empire pendant vingt années encore. Jusqu’à la mort même, s’il le fallait ! Pourtant, Maximien fit comme il avait toujours fait : même à contrecœur, en traînant les pieds et en freinant des quatre fers, il obéit à son supérieur hiérarchique. Dans le temple de Jupiter Capitolin à Rome, il s’engagea solennellement, mais de très mauvais gré, à respecter les termes de l’abdication, ce qui signifiait qu’il renonçait définitivement et irrévocablement à toutes ses prérogatives impériales.
Et Maximien, déchu et déçu, se retira dans une somptueuse villa en Campanie ou en Calabre.

Après les abdications du printemps 305, et conformément aux dispositions du système tétrarchique prescrites par Dioclétien lui-même, Constance Chlore en Occident et Galère en Orient devinrent Augustes (= empereurs principaux) avec, respectivement, Sévère et Maximin Daïa comme nouveaux Césars.

Mais il y avait un « hic » ! Avec Maxence, Maximien avait un fils en âge de lui succéder. Naturellement, Dioclétien n’ignorait rien de la situation familiale de son vieil ami Maximien. Alors pourquoi avait-il exclu Maxence de la succession impériale ? Quelle mouche avait donc piqué ce vieux débris ? Déclinait-il à ce point dans ses vieux jours ?
Pas du tout !
C’est que Dioclétien soutenait mordicus que l’Empire ne devait en aucun cas être héréditaire. Suivant en cela l’exemple de bien des empereurs militaires du IIIe siècle (et en particulier d’Aurélien), le vieux souverain pensait que l’empereur, héritier des consuls de l’ancienne République romaine, n’était que le premier magistrat de l’État. Même investi d’un pouvoir absolu, voire divin, il ne recevait donc pas la pourpre automatiquement, comme un roi héritant du trône paternel. Que du contraire ! Dans la logique de son système tétrarchique, où l’accession au pouvoir suprême n’était que l’aboutissement d’une longue carrière militaire, l’empereur romain se devait d’être d’abord un militaire expérimenté, aux capacités éprouvées sur les champs de batailles, qui avait démontré son patriotisme et son dévouement à la chose publique, puis qui avait fait loyalement ses classes en tant que César de l’Auguste qui l’avait adopté.
Bref, être empereur, c’était le contraire du rôtisseur : on ne le naissait pas, on le devenait !

Autant dire Maxence trouva ces conceptions dioclétiennes particulièrement saumâtres. Imbuvables, même !
Pendant plus d’un an, il mordit sur sa chique.

maxence

C’est la mort de Constance Chlore (à York, le 25 août 306) qui disloqua toute la belle construction tétrarchique de Dioclétien. Théoriquement, Sévère devait le remplacer comme Auguste, mais les légions de (Grande-)Bretagne lui préférèrent Constantin, fils de l’empereur défunt et qui, comme Maxence, avait été ignoré lors de la réorganisation de mai 305.

Le mauvais pli était pris ! Fort du précédent créé par le pronunciamiento de Constantin, Maxence, fils de Maximien, se fit proclamer empereur par les Prétoriens de Rome (28 octobre 306). Son Rubicon franchi, le nouveau souverain de cette tétrarchie qui comptait désormais cinq princes s’en alla dans le Sud de l’Italie afin de solliciter aide et conseil de son vieux papa… qui approuva hautement l’usurpation de son fiston. C’était bien la première fois que le vieux militaire prenait le contre-pied d’un ordre de son pote Dioclétien !
Cela dit, de l’évolution de sa belle construction, il s’en souciait désormais comme de colin-tampon, le Dioclétien ! Dégoûté des dieux et des hommes, seule une invasion de limaces dans les choux de son potager aurait pu le faire sortir de son quant-à-soi… et encore ! Ce fut donc l’énergique Galère qui prit les choses en mains : il ordonna à Sévère, l’Auguste d’Occident légitime, de régler leur compte à ces usurpateurs. D’abord Maxence, puis Constantin.

Sévère rassembla ses troupes et marcha sur l’Italie. Las ! Son armée, c’était l’ancienne armée de Maximien ! Ses légions, c’étaient celles qui, depuis vingt ans, s’étaient couvertes de gloire sous le commandement de l’herculéen Auguste ! Ses officiers étaient tous des vétérans des guerres victorieuses de Maximien !
Aussi, quand Sévère, tout content, atteignit Rome et se prépara à l’assiéger, Maxence revêtit son auguste vieux père de tous ses ornements impériaux et l’exhiba sur les remparts de la Ville. Naturellement, les soldats de Sévère se rallièrent en masse à leur vieux chef. Quant à Sévère, se retrouvant avec seulement une poignée de fidèles, il courut s’enfermer dans l’inexpugnable ville de Ravenne, l’usurpateur et son père sur ses talons.
Par de fausses promesses, Maxence parvint à attirer son adversaire hors de son repaire et à le capturer. Sévère, chargé de fers, fut ramené à Rome et exécuté peu après.(307).

En acceptant de revêtir à nouveau la pourpre impériale, Maximien avait commis un parjure sacrilège : moins de deux ans plus tôt, n’avait-il pas juré sur tous dieux, célestes et infernaux, qu’il renonçait définitivement et irrévocablement au trône ? Pourtant, son usurpateur de fils n’avait eu aucune peine à le persuader de revêtir à nouveau la pourpre, tant il y avait renoncé à contrecœur et tant la passion de régner le consumait. Une fois remis en selle, il lui fut donc impossible de réfréner ses ambitions personnelles, même si elles s’opposaient à celles de son propre fils. C’est ainsi que lorsqu’il se rendit en Gaule en 307 pour conclure le mariage de sa fille Fausta avec Constantin, il tenta de convaincre son gendre de marcher sur l’Italie, de détrôner son rejeton Maxence et de l’installer, lui Maximien, à sa place. « Tu te sentiras plus en sécurité avec ton cher vieux bon-papa comme voisin, larmoya-t-il devant Constantin. Regarde-moi : je suis un vieil homme usé ! Qu’as-tu encore à craindre de moi ? Ne vaut-il donc pas mieux que ce soit moi qui règne en Italie plutôt que mon usurpateur de fils ? Maxence, je le connais comme si je l’avais fait ! C’est un jeune loup ambitieux, aux dents longues et aux griffes rapaces. Avec une telle engeance à tes frontières, jamais tu ne connaîtras la paix. Quant à ma pauvre petite Fausta, elle risque fort de se retrouver veuve avant l’âge !

Malgré ce beau discours, le prudent Constantin refusa de prendre parti entre Galère, Maxence et Maximien. Alors, celui-ci rentra à Rome avec la ferme intention de rendre la vie impossible à ce fils qui, tout en le couvrant d’honneurs, lui refusait résolument tout pouvoir réel.

constantin

Le 11 novembre 308 se tint à Carnuntum (ville située dans l’Autriche actuelle, non loin de Vienne) la réunion de la dernière chance pour sauver le peu de ce qui subsistait encore de la tétrarchie. Exceptionnellement, Dioclétien daigna sortir de sa retraite potagère pour y assister, mais les efforts de Maximien pour le convaincre de revenir aux affaires restèrent vains. La conférence se termina sur un demi-échec, sur un constat d’impuissance. Pour remplacer feu Sévère, exécuté par Maxence, Galère promut Licinius, un autre militaire d’origine balkanique, directement au rang d’Auguste.
Au bout de trois années seulement de banc d’essai, la belle tétrarchie bien ordonnée et hiérarchisée conçue et réalisée par Dioclétien s’était métamorphosé en un système anarchique avec trois empereurs « officiels » (Galère, Licinius et Maximin Daïa ) et trois « usurpateurs » (Constantin, Maxence et notre Maximien). Six « Seigneurs de la guerre » antagonistes qui, quand ils ne s’affrontaient pas les armes à la main, se jalousaient férocement.
Il y avait de quoi pleurer !
Dioclétien était sans doute trop coriace, ou trop diminué, pour cela, mais gageons qu’il quitta Carnuntum avec le sentiment vinaigreux d’avoir servi de cinquième roue à un carrosse devenu fou, et avec la ferme résolution de ne plus jamais mettre l’ombre du bout de son nez dans le guêpier des affaires impériales.

Maximien aussi se sentait complètement obsolète. Mais, à la différence de son vieux pote Dioclétien, lui, il n’avait pas encore baissé les bras ! Désormais irrémédiablement brouillé avec son fils Maxence, il décida de résider en Gaule auprès de sa fille Fausta et de son gendre Constantin. Là aussi, il fut poliment écarté du pouvoir tout en restant couvert d’honneurs… Là aussi il se mit conspirer contre son hôte.

Vers l’été 310, il profita de l’absence de Constantin, parti repousser une invasion de Francs aux confins des provinces belges, pour soudoyer les soldats de la garnison d’Arles et se faire proclamer empereur.
Pour une fois, Constantin fit montre d’énergie et de détermination : revenu ventre à terre de Belgique, il se présenta sous les murs d’Arles avec le gros de son armée avant que son beau-paternel rival n’eût pu organiser la défense de la ville. Maximien s’enfuit pour se réfugier à Marseille, mais son gendre l’y poursuivit, prit la ville phocéenne d’assaut et le captura.

Fait extraordinaire, Constantin, d’habitude fort peu enclin à la clémence – surtout quand il avait eu la frousse – pardonna à son beau-père. Celui-ci, privé de tous les honneurs attachés à sa qualité d’ancien empereur, fut incapable de supporter les humiliations cumulées de la défaite et de la déchéance. Maximien recommença à conspirer contre son gendre. Il projeta de le faire assassiner dans son lit conjugal, mais commit une grossière erreur : voulant mettre tous les atouts dans son jeu, il tenta de s’assurer la complicité de sa fille Fausta… qui s’en alla tout cafter à son Constantin de mari. Peut-être la donzelle n’avait-elle guère d’affection pour ce père brutal et autoritaire ? Peut-être avait-elle jugé peu prudent de tout miser sur un looser, sur un cheval de retour ?
Quoi qu’il en soit, Maximien mourut peut après. Maximien se suicida peut-être pour échapper devancer le juste châtiment de ses continuelles embrouilles, mais il est plus probable qu’il fut exécuté sur l’ordre de Constantin. (Fin 310).

Aux yeux des hagiographes chrétiens, Maximien passe pour un horrible persécuteur. Pourtant, comme je l’ai signalé ci-dessus, tout brutal et violent qu’il fut, le principal collaborateur de Dioclétien ne paraît pas avoir déployé beaucoup de zèle à exécuter les ordres de son chef.

Les sources chrétiennes évoquent quelques martyrs en Espagne. Citons surtout la vierge Eulalie, qui aurait été exécutée à Mérida. Une demoiselle qui nous intéresse particulièrement, nous francophones, puisque c’est en en son honneur que, bien après son martyre, vers le Xe siècle, fut composé le premier poème en « vieux français » : « La Cantilène de Sainte Eulalie » : « Buona pulcella fuit Eulalia ; Bel avret corps, bellezour anima… »
Puisque nous sommes de loisir, risquons une petite traduction de cette savoureuse œuvrette :
Eulalie fut une courageuse jeune fille.
Joli était son corps, plus belle encore son âme.

Voulurent la vaincre les ennemis de Dieu,
Voulurent lui faire le Diable servir.
Mais elle ne daigna ouïr ces vils tentateurs
Qui voulaient qu’elle renie le Dieu des Cieux.

Nul or, ni argent, ni parure,
Nulle menace, nulle caresse, nulle prière,
Rien ne put jamais convaincre
La demoiselle d’abandonner le service divin.

Et pour cela fut amenée devant Maximien,
Qui, en ces temps, des païens était le roi.
Il l’exhorta, mais elle n’en eut cure,
De fuir le doux nom chrétien.

Elle ranima son courage.
Mieux valait qu’elle endurât les tourments,
Qu’elle perdît sa virginité.
Grâce à cela, elle mourrait en grande sainteté.

Dans le feu, la jetèrent pour qu’elle brûlât vite.
Point de péchés n’avait, et pour cela point ne cuisit.
Le roi païen ne voulut accepter cela :
Avec une épée, il ordonna qu’on lui tranchât la tête.

La demoiselle point ne le contredit,
Elle voulut quitter le siècle ainsi que l’exigeait Christ,
Qui sous forme de colombe volait dans le ciel.

Tous prions que, pour nous, elle daigne implorer
Christ d’avoir de nous merci,
Et qu’après la mort, il nous laisse venir à lui
Par sa clémence.

(Texte original, voir, par exemple, les Pages personnelles d’Yves Sagnier).

En Italie, on compta aussi quelques morts, bien qu’il semble bien que les auteurs chrétiens se soient complus à attribuer à Maximien et aux édits persécuteurs de Dioclétien des martyres hypothétiques dont ils ne connaissaient pas la date précise. Par exemple celui de sainte Lucie à Syracuse, dont le voile miraculeux arrêta la lave de l’Etna, ou celui de sainte Agnès, exposée nue dans un lupanar, mais dont la pudeur fut miraculeusement préservée grâce à une poussée capillaire digne de celle des Dupondts dans « Tintin au Pays de l’Or noir » !

En revanche, en Afrique (du Nord), cet autre territoire contrôlé par Maximien, la répression du christianisme paraît s’être réellement et sévèrement exercée. Il semble bien que les autorités impériales se soient surtout préoccupées de la confiscation des Livres saints. On voit par exemple, Mensurius, l’évêque de Carthage, livrer des ouvrages hérétiques au lieu des ouvrages usuels. Un petit malin, le Mensurius !
Cela dit, on peut se demander pourquoi les Chrétiens les plus extrémistes (en particulier ces Donatistes qui, justement, sévissaient en Afrique) considéraient que le fait de livrer des textes sacrés aux païens constituait un crime encore plus grave que de sacrifier aux dieux. Qu’y avait-il de si dangereux dans ces satanés bouquins ?
Quoi qu’il en soit, le nombre de victimes africaines de la persécution « de Maximien » fut relativement élevé… Sans cependant d’atteindre les records détenus par les provinces orientales de l’Empire !