Emilien

Emilien

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Emilien
(L. Mussius Aemilianus)

Avant d’être nommé préfet d’Égypte (vers 257), L. Mussius Æmilianus fut préfet de la poste pour les trois provinces gauloises (Præfectus vehiculorum trium provinciarum Galliarum), procurateur des trois ports égyptiens de Péluse, Alexandrie et Parætonium (Procurator Alexandriae Pelusi Parætoni) et procurateur des deux ports italiens de Porto et d’Ostie (Procurator Portus utriusque Ostiae).

Cette fort jolie carrière administrative, couronnée par la préfecture de la plus riche province de l’Empire, nous donne à croire qu’Émilien était considéré par les empereurs Valérien et Gallien comme un serviteur loyal.
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Pourtant, dès son arrivée en Égypte, il allait montrer d’inquiétants signes d’indépendance. Par exemple, en 258, en vertu de l’édit impérial de Valérien qui condamnait à la peine de mort tous les prêtres chrétiens, le préfet Émilien aurait dû faire exécuter le premier d’entre eux, l’évêque Denys d’Alexandrie. (Voir Persécution de Valérien). Or, il n’en fit rien. Ni l’évêque ni les prêtres qui l’avaient accompagné à Kephô (tout près de l’oasis de Siouah, dans le désert de Libye), où il avait été exilé l’année précédente, ne furent davantage inquiétés. Quant aux communautés chrétiennes d’Alexandrie, elles semblent avoir bien plus souffert de l’hostilité de la populace, qui se livra à de violents pogroms anti-chrétiens, que d’une vraie répression légale.

À mon avis, si Émilien mit tant de mauvaise volonté à faire appliquer les cruels décrets de Valérien, c’est qu’il pressentait qu’en ces temps troublés, il serait dangereux de s’aliéner, par des mesures aussi radicales que prématurées, la puissante et influente minorité chrétienne d’Égypte. Même si, à ce moment, il ne songeait pas encore à revendiquer le trône impérial, il pensait sans doute qu’avant d’appliquer ces lois draconiennes, il serait judicieux de ménager la chèvre et le chou, de sentir dans quel sens le vent tournerait…

Car, par les temps qui couraient, la situation évoluait très rapidement !
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En 257, le roi des Perses Sapor Ier avait envahi la Syrie voisine. Influencé par le prophète Mani, il se montra tolérant envers les Chrétiens en qui il avait vu des alliés potentiels. Deux ans plus tard (259), l’empereur Valérien arriva en Orient, accompagné de forces considérables pour tenter de repousser l’envahisseur perse, Et de fait, ce persécuteur de Chrétiens bouta les Perses hors de Syrie… Mais, l’année suivante, il se faisait battre à plates coutures sous les murs d’Édesse, ancienne capitale d’un royaume chrétien indépendant. L’empereur romain était prisonnier. Pendant les quelques mois qui lui resteront à vivre, il servira de tabouret au souverain oriental.

À cette époque, comme des rumeurs prétendaient que des trahisons chrétiennes étaient à l’origine de l’incompréhensible débâcle de Valérien, l’opportuniste préfet Émilien fit revenir le patriarche d’Alexandrie de son exil du désert libyen pour le réinstaller, avec les excuses du tribunal, dans son luxueux palais épiscopal. Mieux valait les ménager, ces dangereux chrétiens !

Fort de sa victoire, le roi de Perse envahit une nouvelle fois la Syrie. L’Orient tout entier allait-il tomber sous la coupe du monarque sassanide ?

Pas du tout.

Avec l’aide de ses deux fils et du Préfet du Prétoire Ballista, Macrien, un ancien ministre de Valérien, réorganisa la défense romaine et parvint, quasi miraculeusement, à repousser le souverain perse en Mésopotamie. Puis, tout auréolés de cette victoire inespérée, ces Macriens, très satisfaits d’eux-mêmes, se proclamèrent empereurs et ambitionnèrent d’aller détrôner Gallien, le fils et successeur de Valérien. Et comme ces usurpateurs disposaient de troupes aguerries et d’assez d’or pour fléchir les consciences les plus loyales, presque toutes les provinces orientales de l’Empire reconnurent bientôt leur autorité.

Notre Émilien d’Égypte ne fit pas exception et promit aux Macriens de livrer à leur armée toutes les vivres dont elle aurait besoin pour son expédition contre Gallien.

Mais, à nouveau, le vent tournait.

À peine les usurpateurs eurent-ils tourné le dos, avec le plus gros de leur armée, pour s’en aller ravir le pouvoir à Gallien que le roi Palmyre Odenath, un allié de l’empereur légitime, attaqua les territoires dont ils s’étaient emparés.

Et ce n’est pas tout : un peu partout en Orient, des troubles éclatèrent. Il faut dire que les Chrétiens avaient embrassé avec enthousiasme la cause d’Odenathet de Gallien : ils ne pouvaient envisager sans crainte le succès de ces Macriens que la rumeur accusait d’avoir inspiré la politique persécutrice de Valérien.

Au milieu de l’année 261, dans les Balkans, Macrien Senior et son fils aîné furent vaincus et tués par le général Aureolus, rallié à Gallien. Quant à Quietus, le cadet des Macriens, il fut, lui aussi, défait et exécuté, mais des œuvres d’Odenath de Palmyre

Pour Émilien, ça, c’était vraiment la cata !
Que pouvait-il encore faire ?
Lui, qui avait activement soutenu la rébellion des Macriens, n’avait aucune pitié à attendre de Gallien, cet empereur qu’il avait si abominablement trahi après avoir été si peu loyal envers son père Valérien et que l’on prétendait si cruel.
S’il n’avait pas assez de courage pour se suicider tout de suite, il ne lui restait plus qu’à se faire proclamer empereur lui aussi. Alors, qui sait, grâce aux trésors de la riche province Égypte, peut-être pourrait-il convaincre Gallien et Odenath de le laisser tranquille.

Émilien revêtit donc la pourpre et se fit acclamer par les légions casernées en Égypte. Cependant, la réaction de l’empereur de Rome fut bien plus vive que l’usurpateur égyptien ne l’avait prévu. En effet, Gallien ne pouvait en aucun cas laisser l’Égypte, le grenier à blé de l’Empire, en des mains inamicales. Il y envoya donc un commando, placé sous les ordres d’un certain Aurelius Theodotus, qui s’empara de Mussius Émilien et l’expédia en Italie par le premier bateau, ficelé comme un saucisson.

Au printemps 262, Mussius Æmilianus fut étranglé dans la plus pure tradition romaine et dans sa prison (peut-être le sinistre Tullianum de Rome ?).