les macriens

Les Macriens

260- 261
Les Macriens :

T. Fulvius Macrianus (Macrien Senior)
T. Fulvius Junius Macrianus (Macrien Junior)
T. Fulvius Junius Quietus (Quiétus)
Ballista (Callistus)

Selon l’évêque Denys d’Alexandrie, en 257, Macrien, ministre des finances de l’empereur Valérien, aurait, par des tours de magie noire, convaincu ce souverain que tous les maux de l’Empire résultaient d' »ondes négatives » émises par les Chrétiens. En conséquence, il fallait donc, selon Macrien, abolir d’urgence leur religion perverse… Ce qui permettrait aussi, du même coup, de faire main basse sur toutes leurs richesses et de renflouer le trésor impérial, désespérément vide. (Voir « Persécution de Valérien »).
Voilà sans doute la raison pour laquelle les historiens catholiques ont poursuivi ce personnage d’une haine tenace. Chez eux, notre Macrien endosse d’emblée le rôle du fourbe, du traître et du méchant.

Évidemment, le percepteur principal des impôts du persécuteur Valérien, le chef des rapaces agents du fisc romain n’avait, par nature, rien pour susciter une sympathie débordante… Mais de là à en faire un démon incarné, il y a de la marge !

Macrien fut probablement un ministre compétent. Nous verrons que l’empereur n’hésitera pas à lui confier des tâches dont dépendaient la survie même de l’Empire. Quant aux édits de persécution de Valérien, ce furent sans doute des mobiles autres que bassement matériels ou simplement religieux qui poussèrent Valérien à les publier. En effet, les Perses du roi Sapor Ier, après avoir annexé l’Arménie, avaient envahi la Syrie et mis à sac la troisième métropole de l’Empire, la riche cité d’Antioche. À tort ou à raison, l’empereur romain pensait que les Chrétiens d’Orient soutenaient activement l’invasion du Roi de Perse. « Et d’ailleurs, songeait Valérien, comment, sans d’inavouables collusions entre l’ennemi et ces sectaires fanatiques, Sapor aurait-il pu s’emparer aussi facilement de l’imprenable cité d’Antioche, où comme par hasard, les Chrétiens sont si nombreux et si remuants ? »

Après avoir publié ces édits « de persécution » qui n’étaient, en réalité, que de (lourdes) mesures politico-religieuses destinées à décourager d’autres trahisons, l’empereur Valérien, au début de l’année 259, s’embarqua avec toute son armée pour l’Orient. Il avait décidé d’aller, en personne, donner une correction au roi de Perse afin de le dissuader une fois pour toutes d’envahir les territoires romains.

valerianus

Preuve de son dévouement et de la confiance que son maître lui portait, le ministre des finances Macrien, malgré ses infirmités et son âge avancé, accompagna l’empereur en qualité de « procurator arcae et praepositus annonae in expeditione Persica » (C’est-à-dire de « procurateur aux coffres et préposé au ravitaillement de l’expédition perse »). Poste très important et dont dépendait le succès de l’expédition puisqu’il était chargé de veiller à l’approvisionnement des troupes, de gérer le trésor de guerre et de battre monnaie pour verser régulièrement la solde des militaires.

Le ministre, qui avait demandé à ses deux fils (Macrien Junior et Quietus) de l’accompagner, resta à Samosate (auj. Samsat en Turquie) tandis que l’empereur entrait en campagne.

Au début de la campagne, l’armée romaine d’Orient ne rencontra que des succès faciles et pourtant, la guerre était loin d’être gagnée. Peu soucieux d’affronter le gros des forces impériales dans des provinces fidèles à Rome depuis des siècles, le souverain perse avait ordonné un repli stratégique. Abandonnant ses récentes conquêtes, ses troupes se retranchèrent sur des positions situées à l’Est de l’Euphrate, aux environs de la ville d’Édesse (aujourd’hui Urfa, au Sud de la Turquie). Pour les Perses, c’était vraiment l’endroit idéal pour attendre Valérien : le royaume chrétien d’Édesse n’avait été que très récemment annexé à l’Empire romain et la nostalgie de la liberté perdue était encore très vive chez les habitants de la région. En outre, l’irruption de l’armée romaine, composée de soldats païens, et placée sous le commandement d’un empereur précédé d’une fâcheuse réputation de persécuteur de l’Église chrétienne, ne pouvait qu’irriter cette population belliqueuse et majoritairement chrétienne.

Nous ne connaissons pas précisément la suite des événements, mais toujours est-il qu’un beau jour de l’année 260, Valérien et ses légions affamées, assoiffées et décimées par la peste, se retrouvèrent, comme par enchantement, encerclées par les cavaliers perses.

Pendant plusieurs jours, l’armée romaine tenta vainement de briser l’étau des troupes ennemies. Ensuite, de guerre lasse, Valérien voulut acheter au Roi des Rois le droit de faire retraite honorablement. Mais Sapor, sûr de la victoire, refusa toute concession. Force fut donc au vieil empereur Valérien, poussé par ses légionnaires découragés et au bord de la rébellion, de négocier la capitulation de la grande armée romaine.

L’héritier des Césars finit tristement sa vie dans une humiliante captivité tandis que les glorieux légionnaires furent occupés à des vils travaux de terrassement aux confins de l’Empire perse.

macrien II

Valérien était donc prisonnier. Quant à Gallien, son fils et successeur désigné, il se trouvait dans la partie occidentale de l’Empire, autant dire au diable Vauvert, fort occupé à tenter de se dépêtrer d’une kyrielle d’usurpateurs qui avaient profité de l’anarchie ambiante pour s’approprier une parcelle de pouvoir. Mais voilà, les légions de l’armée d’Orient qui avaient eu la chance d’échapper au désastre d’Antioche réclamaient à cor et cri un chef capable de sauver les meubles. C’est pourquoi le Préfet du Prétoire Ballista (que certaines sources nomment Callistus) proposa au vieux Macrien, le plus haut fonctionnaire présent, d’accepter le trône. Il paraît que le ministre de Valérien, arguant de son âge et de ses infirmités, refusa mais qu’il demanda que ses fils Macrien Junior et Quietus fussent désignés empereur à sa place.

Pour l’armée romaine, il n’était que temps ! Profitant de la démoralisation des forces adverses après la capture du vieil empereur Valérien, le roi des Perses Sapor, avait tenté s’emparer, définitivement cette fois, de la totalité de la Syrie et de l’Asie Mineure.

 

quietus

Heureusement, Macrien avait judicieusement réorganisé ses contingents. Placés sous le commandement du Préfet Ballista-Callistus, les légionnaires vengèrent l’humiliation d’Édesse. Sapor subit une écrasante défaite et battit en retraite, la queue entre les jambes. Les mésaventures du roi persan ne se limitèrent d’ailleurs pas à cet échec car Odenath, le roi de Palmyre, allié traditionnel des Romains, harcela l’armée perse en fuite, lui infligeant défaite sur défaite.

Tout aurait été pour le mieux si les Macriens s’étaient bornés à gouverner l’Orient. Ils seraient restés bien peinards à Antioche ou à Samosate, auraient trouvé un accommodement avec Gallien, qui en avait plein les pieds en Occident, et se seraient taillé une belle petite principauté presque indépendante de Rome. Mais malheureusement ils furent saisis par la folle ambition de renverser l’empereur de Rome et de devenir les seuls maîtres de l’Empire.

Il est vrai que Macrien et ses fils semblaient détenir tous les atouts pour réussir leur coup. Ils étaient à la tête de troupes victorieuses, au moral d’acier. De plus, en tant qu’ancien ministre des finances de Valérien, le vieux Macrien disposait de ressources financières considérables : Ne détenait-il pas les clefs des coffres-forts impériaux ? Et enfin, last but not least, les Macriens rallièrent à leur cause Émilien, le gouverneur de la fertile province d’Égypte, dont les abondantes ressources vivrières assureraient à leurs troupes un ravitaillement abondant et bon marché.

Accompagné de son fils aîné, Macrien Junior, Macrien Père décida de marcher sur Rome à la tête de son armée. Quant à Quietus, son fils cadet qu’il avait, lui aussi, élevé à la dignité de co-empereur, il fut chargé de gouverner l’Orient s avec l’aide du très compétent Préfet du Prétoire Ballista-Calistus.

L’armée des deux Macriens partit, toute confiante, à la conquête de l’Occident. Cependant le rapport des forces avait déjà changé. Il avait même complètement basculé en faveur de Gallien, l’empereur légitime.

Celui-ci s’était tout d’abord allié à Odenath, ce roi de Palmyre qui avait si bien parachevé la déroute des Perses, pourchassant même l’ennemi jusqu’aux remparts de leur capitale Ctésiphon.
Contrairement aux Macriens, Odenath n’avait nullement l’intention de revendiquer la couronne impériale ni de contester la préséance de l’empereur de Rome. Lui, c’était un réaliste ! Il se contenterait volontiers des titres de Dux Romanorum (« chef des Romains ») et de Corrector totius orientus (« Co-régent de tout l’Orient ») pourvu que son hégémonie de fait sur les provinces orientales de l’Empire fût clairement reconnue. Moyennant cette importante concession de la part de Gallien, le Roi de Palmyre s’engageait à envahir les territoires que contrôlait l’usurpateur Macrien pendant que celui-ci, avec les gros de ses forces, remontait vers les Balkans.

L’empereur de Rome avait également trouvé d’autres puissants alliés. En effet, désormais unis par une communauté d’intérêts, Gallien, fils du persécuteur Valérien, et les Chrétiens persécutés se retrouvaient dans le même camp. L’empereur craignait davantage ces Macriens parés des richesses séductrices de l’Orient que tous les Ingenuus, Regalianus, Valens et autre Pison, ces usurpateurs balkaniques « fauchés » dont il s’était débarrassé en deux coups de cuiller à pot. Quant aux Chrétiens, ils ne pouvaient envisager sans frémir les conséquences de la réussite du coup d’état des Macriens (père et fils), ces monstres qui, selon leurs dirigeants, avaient largement prouvé, et de quelle sanglante manière, leur hostilité au christianisme. « Certes, avait pensé Gallien, ces Macriens, qui avaient repoussé les Perses, étaient de très sérieux adversaires, mais les Chrétiens n’avaient-ils pas, quant à eux, très efficacement contribué à la défaite des armées romaines devant Édesse ».

Grâce à un édit de tolérance qui reconnaissait presque l’existence légale du christianisme, Gallien s’était concilié les bonnes grâces de ces dangereux alliés qui, nombreux en Orient, allaient saper le pouvoir des Macriens au cœur même des provinces qu’ils contrôlaient.

Cette tactique d’encerclement et de harcèlement porta ses fruits.
En automne 261, coupée de ses hases, l’armée de Macrien Senior et de Macrien Junior fut écrasée en Illyrie par celle du général Aureolus au service de Gallien. Les deux usurpateurs furent tués par leurs propres soldats peu après la bataille décisive.

De son côté Quietus, le fils cadet de Macrien, tenta, avec l’aide du préfet de prétoire Ballista, de se maintenir quelque temps en Orient, mais il fut vaincu par Odenath de Palmyre. Il se replia alors dans la ville d’Émèse et c’est là qu’il trouva la mort dans des circonstances assez obscures (massacré par la foule, exécuté sur l’ordre d’Odenath ?).

Quant au Préfet du Prétoire Ballista (nommé aussi Callistus), tout porte à croire qu’il fut tué en même temps que Quietus. Ce qui, en revanche, est tout à fait certain, c’est que jamais ce Ballista ne se proclama empereur, contrairement aux affabulations de l’auteur de l’Histoire Auguste qui, en l’occurrence, s’est encore une fois amusé à nous faire prendre des vessies pour des lanternes.