Cyriadès

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Cyriadès
(ou Mareadès)

En 257, le roi de Perse Sapor brisa la trêve qui le liait à l’Empire romain. Avec une facilité déconcertante, les armées du souverain sassanide annexèrent l’Arménie, jusque-là protectorat romain, puis envahirent la Syrie.
Pour l’Empire, la situation était vraiment critique. Si les cavaliers de Sapor s’emparaient de l’Égypte et de ses gigantesques réserves céréalières, Rome, affamée, sombrerait bien vite dans l’anarchie.

Pour pallier cette menace, l’empereur Valérien, au début de l’année 259, s’embarqua avec toute son armée pour l’Orient.

Au début de la campagne, l’armée romaine d’Orient ne rencontra que des succès faciles et pourtant, la guerre était loin d’être gagnée. Peu soucieux d’affronter le gros des forces impériales dans des provinces fidèles à Rome depuis des siècles, le souverain perse avait ordonné un repli stratégique. Abandonnant ses récentes conquêtes, ses troupes se retranchèrent sur des positions situées à l’Est de l’Euphrate, aux environs de la ville d’Édesse (aujourd’hui Urfa, au Sud de la Turquie). Pour les Perses, c’était vraiment l’endroit idéal pour attendre Valérien : le royaume chrétien d’Édesse n’avait été que très récemment annexé à l’Empire romain et la nostalgie de la liberté perdue était encore très vive chez les habitants de la région. En outre, l’irruption de l’armée romaine, composée de soldats païens, et placée sous le commandement d’un empereur précédé d’une fâcheuse réputation de persécuteur de l’Église chrétienne, ne pouvait qu’irriter cette population belliqueuse et majoritairement chrétienne.

Nous ne connaissons pas précisément la suite des événements, mais toujours est-il qu’un beau jour de l’année 260, Valérien et ses légions affamées, assoiffées et décimées par la peste, se retrouvèrent, comme par enchantement, encerclées par les cavaliers perses.

Pendant plusieurs jours, l’armée romaine tenta vainement de briser l’étau des troupes ennemies. Ensuite, de guerre lasse, Valérien voulut acheter au Roi des Rois le droit de faire retraite honorablement. Mais Sapor, sûr de la victoire, refusa toute concession. Force fut donc au vieil empereur Valérien, poussé par ses légionnaires découragés et au bord de la rébellion, de négocier la capitulation de la grande armée romaine.
L’héritier des Césars finit tristement sa vie dans une humiliante captivité tandis que les glorieux légionnaires furent occupés à des vils travaux de terrassement aux confins de l’Empire perse.

triomph sapor

Comment les contemporains du malheureux empereur Valérien interprétèrent-ils cet incompréhensible désastre ?

Pour les chroniqueurs Chrétiens, il n’y avait pas de doute : Dieu avait durement, mais justement châtié le tyran Valérien, persécuteur de l’Église.

Les historiens païens, eux, eurent recours à l’explication utilisée de tout temps par les peuples vaincus pour justifier une inexplicable déroute militaire.
De la même façon que l’Histoire de France expliquera la raclée du vaillant François Ier à Pavie par la trahison du connétable de Bourbon, la défaite de Napoléon à Waterloo par la procrastination suspecte de Grouchy, la déroute de 1870 par celle de Bazaine, la débâcle de 1940 par celle de Léopold III, roi des Belges, il fallait aux Romains un traître bien avéré pour porter le chapeau de la défaite de Valérien, pour panser cette grave blessure patriotique. Ce félon, ce sera Cyriadès.

Cyriadès (que certains auteurs appellent Mariadès) était, paraît-il, citoyen d’Antioche. Ancien décurion des légions romaines, il aurait rallié le camp Perse et facilité l’invasion des territoires romains. Après la mort de Valérien, le Roi des Rois Sapor aurait tenté de l’imposer comme empereur dans les territoires conquis mais, comme les populations locales répugnaient à obéir à un tel individu, Sapor l’aurait fait exécuter.

Tout cela est vraiment trop beau !

Cette histoire dédouane si complètement le brave empereur Valérien et ses vaillantes légions de toute responsabilité dans l’humiliante défaite de 260 que si elle n’était confirmée par de nombreux historiens antiques, nous aurions quelques difficultés à y accorder foi… Cependant, vu le nombre (sinon la cohérence) de tous ces témoignages, force nous est d’admettre qu’il s’est effectivement passé « quelque chose » lors de la capture de Valérien, que certaines trahisons expliquent partiellement (sinon totalement) la défaite romaine. Quant à faire d’un seul individu nommé Cyriadès, l’unique bouc émissaire de l’écrasante défaite des aigles romaines, il y a là un pas qu’il est bien difficile de franchir…

Quant à moi, j’aurais plutôt tendance à chercher la cause de l’échec de Valérien dans l’attitude des Chrétiens orientaux, en particulier ceux d’Antioche et d’Édesse (voir Persécution de Valérien).

Deux indices que l’Histoire Auguste nous livre au sujet de ce fameux Cyriadès me confortent encore dans cette opinion :

L’auteur de cette œuvre affirme que le traître était originaire d’Antioche. Or, les Chrétiens étaient très nombreux et très actifs dans cette ville. En outre, en 259, quand le roi des Perses se replia vers Édesse et fut contraint d’évacuer la métropole syrienne dont il s’était emparé, il emmena dans ses bagages Démétrien, l’évêque chrétien d’Antioche. En tant que prisonnier… nous précisent, d’un air gêné, les historiens chrétiens…
Cela reste à prouver ! Pourquoi le roi Sapor aurait-il mis aux fers un prélat que Valérien, par son édit de persécution de 258, avait condamné à mort ! On peut croire que l’évêque d’Antioche ne portait pas davantage l’empereur romain dans son cœur que le souverain perse ! Les ennemis de nos ennemis ne sont-ils pas nos amis ? En outre, pourquoi Sapor se serait-il encombré d’un otage qui n’avait strictement aucune valeur d’échange ?…
À mon avis, l’évêque d’Antioche la destinée du prélat d’Antioche fut identique à celle de l’hypothétique Cyriadès : il accompagna volontairement les Perses dans leur retraite et, qui sait, contribua autant qu’il le put à la défaite de Valérien cet Antéchrist
L’Histoire Auguste affirme également que Cyriadès « rejoignit le roi Sapor avec lequel il fit alliance et, l’ayant poussé à déclencher une guerre contre les Romains, il emmena successivement Odomaste, puis Sapor, dans les territoires romains ». Cet « Odomaste » n’est autre qu’Hormidz Ier (Hormisdas, Ormuz) fils aîné et successeur de Sapor. Fait troublant : ce prince était un disciple convaincu de Mani, et, à cette époque, le manichéisme était considéré, à tort ou à raison, comme une hérésie chrétienne.

Si je résume les faits : Cyriadès, originaire d’Antioche, ville fortement christianisée et dont le principal dignitaire chrétien avait rallié la cause perse, serait, à son tour, passé dans le camp ennemi. Là, il aurait d’abord contacté le prince héritier Hormidz, un hérétique chrétien et aurait contribué de façon décisive à la défaite de Valérien sous les murs d’Édesse, capitale d’une ancienne principauté chrétienne.

Tout cela fait beaucoup de coïncidences !

Cyriadès un traître (chrétien) de chair et d’os ?… Ou, plus logiquement, la personnification de la trahison des Chrétiens orientaux ?