auguste

Auguste

(27 av. J.-C. – 14 ap. J.-C.)
Auguste
(Caius Julius Caesar Octavianus Augustus)

Le teint maladif, froid comme un serpent, perpétuellement engoncé dans des lainages à la propreté douteuse, Octave, le petit-neveu de César n’avait rien pour émouvoir les foules.

« Il faut que le temps soit un grand magicien pour avoir su tirer de cette chrysalide étrange le papillon merveilleux qui s’appellera Auguste », commente ce vieux facho, mais souvent judicieux Benoist-Méchin (Cléopâtre, ou le rêve évanoui).

De fait, il fallait tout le génie du grand Jules pour discerner chez Octave, dissimulé sous les décourageantes apparences de ce disgracieux jeune homme, le caractère d’un fondateur d’Empire.

OCTAVE : SA FAMILLE – SA JEUNESSE –
LES PREMIÈRES PASSES D’ARMES POLITIQUES

 

La mère d’Octave, qui répondait au doux nom d’Atia, était la nièce de César (fille de sa sœur Julia) – (Voir tableau généalogiqude la famille Julio-Claudienne).

Il est vraisemblable qu’en convolant avec Octavius, un obscur banquier de province, cette donzelle n’avait guère épousé qu’un portefeuille bien garni ! Quelles autres raisons que bassement pécuniaires auraient pu en effet expliquer une telle mésalliance. Rendez-vous un peu compte : l’une des plus fines fleurs du gotha romain épouser le petit « chevalier » Octavius ! Mais voilà, cet Octavius était, certes, issu d’une famille modeste, mais il était aussi (et surtout) plein aux as !… « Beau comme Crésus », tel était son principal mérite…

Il est également vrai qu’à cette époque (vers -63), la prometteuse carrière politique de Jules César s’avérait surtout n’être pour sa « familia » qu’une entreprise ruineuse, un gouffre financier. Les suffrages coûtaient fort cher, et l’argent frais d’un richissime banquier valait bien une légère entorse au code d’honneur de la caste sénatoriale !

Octave (futur Auguste) naquit à Rome le 23 septembre -63, un peu avant le lever du soleil.
Son père mourut quand il avait quatre ans.

À l’age de douze ans, il prit pour la première fois la parole en public pour prononcer l’éloge funèbre de sa grand-mère Julia. En -45, il rejoignit César qui luttait en Espagne contre les fils de Pompée le Grand.

L’année suivante (-44) son grand-oncle Jules, désormais seul maître de Rome, l’envoya en Épire, un peu pour y parfaire son éducation, beaucoup pour y préparer son expédition contre les Parthes, laquelle devait commencer par l’asservissement de la Dacie (Roumanie actuelle). C’est là, à Apollonia (aujourd’hui Vallonia, en Albanie), qu’il apprit l’assassinat de César, lardé de vingt-deux coups de poignards par Brutus, Cassius et leurs séides (15 mars -44).

Un instant, Octave songea à rassembler les légions cantonnées dans les parages et à marcher sur Rome. Mais il était encore bien trop tendre, bien trop inexpérimenté, bien trop peu connu pour se lancer dans une telle aventure. Il revint donc en Italie comme un simple particulier. Ce n’est qu’à son arrivée à Brindisi qu’il apprit que César, avant sa mort, l’avait adopté.
Malgré les appréhensions de ses proches, il accepta la succession. Désormais, il s’appellerait officiellement Caius Julius Cæsar Octavianus. (Mais nous, nous continuerons cependant de l’appeler Octave comme devant – du moins jusqu’à ce qu’il devienne Auguste !).

Dans la réalité des faits, ce nouveau patronyme, tout prestigieux qu’il fût, ne changeait pas grand-chose à la situation du jeune Octave sur l’échiquier politique romain. Fils adoptif de César ou non, il ne comptait guère que pour des clopinettes !

antoin

Antoine, ancien lieutenant du Jules César, n’avait laissé à nul autre l’honneur de présider aux funérailles de son ancien chef. Il ne se préoccupait pas le moins du monde d’Octave, cet avorton malsain et insignifiant : n’était-il pas aux yeux de tous, l’unique dépositaire de la pensée du grand dictateur ? Consul désigné pour l’année -44, ce colosse mégalo d’Antoine estimait n’avoir besoin de personne pour tenir Rome en main et châtier les assassins de son chef bien-aimé, ces Brutus, Cassius et consorts qui prétendaient avoir « libéré la Ville » et « restauré la République ». Quant à ce minus d’Octave, qu’il se contente donc du glorieux patronyme qu’il venait endosser ! Le nom du plus grand des Romains n’était-il pas déjà un fardeau bien trop lourd pour ces épaules débiles ?

Cependant Octave, lui aussi, se voulait « Continuateur du grand Jules » ! Et pas seulement à titre honorifique ou subsidiaire ! Les deux principaux à la succession de César, adversaires du jour, mais alliés naturels, allaient donc – tôt ou tard, bon gré mal gré – être forcés de s’entendre.

Mais Dieu que ce fut pénible !…

Contrairement à Octave, Antoine, ne brillait guère par l’intelligence politique (ou même par l’intelligence tout court) ; il voulait tout le pouvoir, tout seul, s’estimant assez fort pour venir à bout de tout qui s’opposerait à lui !
La situation resta fort confuse jusqu’en -43.
Devant l’acharnement d’Antoine à « la jouer perso », Octave rallia même un instant le parti sénatorial, qui était aussi celui des assassins de son père adoptif. Il put ainsi infliger à Antoine, sous les murs de Modène, une défaite qui ramena son rival à un sens plus juste des réalités (avril -43). En outre, Octave soudoya ce braillard cupide de Cicéron afin qu’il mît tout son talent rhétorique au service de la calomnie et ruinât la réputation de ce grand soudard aviné d’Antoine.

LE SECOND TRIUMVIRAT

Le machiavélisme d’Octave porta ses fruits. En novembre -43, Antoine était suffisamment affaibli pour traiter avec lui sur un pied d’égalité. Sous l’égide de M. Æmilius Lepidus (Lépide) les deux hommes se rencontrèrent dans une île située sur une rivière près de Bologne.
Octave et Antoine, d’un tempérament diamétralement opposé, ne s’estimaient guère, aussi ce n’est qu’après de longues et pénibles tractations qu’un accord fut enfin conclu : ce fut le Second Triumvirat.

Contrairement au premier Triumvirat, conclu vingt années plus tôt entre César, Pompée et Crassus et qui n’était qu’une alliance formelle, il s’agissait ici d’un pacte légal, d’une loi (Lex Titia) qui réglait le gouvernement de l’Empire romain pour cinq ans (jusqu’au 31 décembre -38).
Cependant, comme les provinces orientales de l’Empire étaient aux mains des assassins de César, les Triumvirs ne s’accordèrent, dans un premier temps, que des zones d’influence en Occident : Lépide s’octroyait l’Espagne et la Gaule Narbonnaise, Antoine la Gaule proprement dite et la Cisalpine, tandis qu’Octave administrerait la Sicile, la Sardaigne et l’Afrique.

Après s’être partagé l’Occident, le Triumvirat renfloua son trésor de guerre en publiant des listes de proscriptions. Une épuration sanglante s’ensuivit. Sur les plus légers soupçons, une multitude de citoyens furent exécutés sans jugement, mais non sans cruauté, et leurs biens tombèrent aux mains de l’État, en l’occurrence dans celles des « Triumvirs » !

C’est alors que, parmi bien d’autres, ce bavard de Cicéron perdit la vie, la tête et les mains : ce rancunier d’Antoine, qui n’avait que fort modérément goûté la verve venimeuse des « Philippiques », avait exigé que le sang de l’orateur lave son honneur calomnié… et son tout nouvel ami Octave avait obligeamment, mais sans vergogne ni scrupules excessifs, « lâché » son ancien allié devenu par trop encombrant.

Leur trésor de guerre bien rempli, les Triumvirs purent alors régler définitivement leur compte aux assassins de César.
Ce n’est pas qu’ils tinssent mordicus à venger la mort de leur ami, protecteur, père adoptif ou grand-oncle. Non, s’ils voulaient sacrifier Brutus, Cassius et consorts aux mânes du grand Jules, c’est uniquement parce que voir les provinces orientales, si riches et si peuplées dans d’autres mains que les leurs, cela leur faisait mal au ventre, à ces cupides !

Les conjurés des Ides de Mars furent battus à Philippes et à plates coutures (-42). Cassius et Brutus se suicidèrent.
Antoine avait vaillamment combattu. Octave, lui, ne se distingua guère par son courage personnel sur le champ de bataille ! On dit même qu’il ne sortit de l’ombre protectrice de sa tente bien gardée que pour châtier les adversaires vaincus… « Il n’usa pas de la victoire avec modération » dit l’historien Suétone en un ironique euphémisme. En fait, l’épuration ordonnée par Octave fut si féroce, si sanglante et si sauvage que ses propres soldats en furent indignés. Lors du défilé de la victoire, ils acclamèrent copieusement Antoine, mais vouèrent le faible et vindicatif Octave à tous les diables de l’enfer !

brutus

Les provinces orientales « libérées », une nouvelle répartition des zones d’influence des Triumvirs s’imposait (Paix de Brindisi -40).
Antoine, principal artisan de la victoire des « Césariens », s’octroya, tout naturellement, la part du lion : tout en conservant la Gaule et la Cisalpine, il fit main basse sur tout l’orient romain. Octave, lui, obtint la plus grande partie de l’Occident (Italie, Espagne), tandis que le pâle Lépide dut se contenter des provinces africaines. En outre, pour sceller cet accord, Antoine épousait Octavie, la sœur d’Octave.

Le triumvirat fut reconduit en -37 et devait assurer sept ans de paix relative (entre -40 et -33).

OCTAVE, TRIUMVIR D’OCCIDENT

Octave, qui commençait petit à petit à trouver ses marques d’homme d’État de génie, profita de ce délai pour renforcer sa position dans la partie occidentale de l’Empire.

Il lutta tout d’abord contre Sextus Pompée, le fils cadet du grand Pompée. Ce Pompée Junior avait, naturellement, pris le parti des assassins de César et profité de la guerre civile pour se tailler un puissant empire maritime en Méditerranée.
Cette guerre navale fut extrêmement dure, et, surtout, très périlleuse pour le pouvoir du Triumvir d’Occident.

Sextus Pompée, fort de sa suprématie navale, avait établi un fort efficace « blocus continental ». À Rome, où la famine menaçait, le petit peuple de la capitale était au bord de la rébellion alors que l’autorité d’Octave y était encore si mal assurée. Après avoir perdu deux flottes lors de tempêtes et frôlé le désastre à plusieurs reprises, Octave (ou plutôt Agrippa, son principal lieutenant) parvint enfin à anéantir les forces navales de Pompée (bataille de Nauloque – Nord de la Sicile – 36 av. J.-C).
L’éphémère maître de la Méditerranée, qui avait trouvé refuge à Milet, fut exécuté peu après sur l’ordre d’Agrippa.

Inutile de dire que, dans cette lutte inexpiable, les équipages d’Octave (et d’Agrippa) avaient acquis une expérience qui allait s’avérer déterminante en vue d’une lutte avec Antoine qui s’annonçait aussi imminente que décisive.
Octave profita aussi de l’avantage et du prestige qui lui avait conféré sa victoire contre Pompée pour se débarrasser de son collègue, le Triumvir Lépide. Il lui confisqua ses riches possessions africaines et l’envoya moisir en exil au Sud de Rome, dans ces insalubres Marais Pontins, là où il ne risquait guère de faire de vieux os.

La Méditerranée purifiée des pirates à la solde de Pompée, Octave mit à profit les quelques années de survie du Triumvirat agonisant pour s’emparer de l’Illyrie et des côtes dalmates (Croatie, Serbie, Albanie et Monténégro actuels – Voir carte des conquêtes d’Auguste en Occident). Il s’agissait d’abord pour lui de renforcer sa mainmise sur l’Occident, mais aussi (et surtout) de s’assurer le contrôle de cette zone-tampon entre la partie occidentale de l’Empire, qu’il contrôlait déjà, et l’Orient romain, soumis à Antoine.
L’annexion de ces contrées paraissait à Octave d’un si haut intérêt stratégique qu’il conduisit personnellement les opérations militaires – une fois n’est pas coutume ! Lors de cette campagne contre ces rudes montagnards illyriens, il fut même, aux dires de l’historien Suétone, blessé à deux reprises : un coup de fronde au genou droit et diverses blessures aux jambes et aux bras lors de la chute d’un pont.

Toujours pour cette période qui couvre les dernières années de la tumultueuse association avec Antoine, il faut encore signaler un fait qui n’est peut-être pas étranger à la progressive « humanisation » de ce monstre froid qu’était, à l’origine, le jeune Octave.

 

Vers l’année 40 (avant J.-C.), le jeune Triumvir tomba éperdument amoureux de Livie, celle qui allait devenir, au sens propre, la femme de sa vie.

On ne peut pas dire que les circonstances favorisaient cette idylle ! Livie était déjà mariée (à Tiberius Claudius Nero), elle était déjà mère d’un garçonnet de trois ans (le futur empereur Tibère), et enfin, elle était durement enceinte d’un autre enfant (le futur Drusus). Quant à Octave, il en était déjà à ses deuxième noces, et Scribonia, cette seconde épouse, attendait, elle aussi, un enfant !
Mais enfin, l’Amour renverse tous les obstacles ! Octave attendit patiemment que sa moitié accouche d’une fille (la fameuse Julie) puis divorça sans ménagement ni regrets excessifs. Vade retro Scribonia ! Dégage !
Autre bonne raison de se débarraser de cette empêcheuse de convoler en rond : ce mariage était en passe de perdre toute utilité politique puisque ladite Scribonia était une parente de ce Sextus Pompée dont la flotte allait être anéantie incessamment sous peu !

Il ne restait plus à Octave qu’à ordonner au collège des Pontifes (qui était « à sa botte » puisqu’il en était le membre le plus éminent – c’est-à-dire le plus dangereux – sans pour autant en être encore le chef) de dissoudre le mariage de la belle, pour enfin, le 17 janvier -38, épouser en justes troisièmes noces cette jolie Livie, toujours aussi durement enceinte des œuvres de son ancien mari.

Seule concession d’Octave à tous les ragots qui entourèrent cette union (et qui redoublèrent à l’occasion de la naissance d’un enfant trois mois après les noces) : il se résolut à restituer à leur père légitime Tiberius Claudius Nero les fils de Livie (le futur Tibère et son cadet Drusus, le « prématuré » de trois mois).
Ce n’était là qu’une minime concession au qu’en-dira-t-on, et qui ne retarda guère que de quelques années l’agrandissement de sa « familia » qu’envisageait le Triumvir d’Occident : en -33, l’ancien mari de Livie mourut prématurément. Ses deux enfants furent alors, tout naturellement, recueillis par Octave, leur beau-père. Celui-ci se prit bien vite d’affection pour le jeune Drusus, mais ne put jamais aimer réellement l’aîné des fils de Livie, ce Tibère qui, sans pourtant être dénué de réelles qualités intellectuelles, montrait déjà, dès son plus jeune âge, un caractère orgueilleux, ombrageux et renfermé.

ANTOINE ET CLOPÂTRE CONTRE OCTAVE

Pendant qu’Octave renforçait sensiblement sa position en Occident, Antoine, lui, n’en ratait pas une !

Après la bataille de Philippes, alors qu’il séjournait à Tarse (Sud de la Turquie actuelle), ce matamore convoqua Cléopâtre devant son tribunal afin qu’elle répondît de l’aide qu’elle avait, dit-on, apportée aux assassins de César. Antoine proclamait à tout vent qu’il allait se montrer inflexible, impitoyable envers ce serpent de Nil… Mais dès que la reine d’Égypte débarqua de sa galère royale, le déploiement de faste qu’elle déploya éblouit tant ce grand benêt d’Antoine qu’il ne fut plus question de mise en accusation. Fasciné par un tel étalage de luxe, entraîné dans un tourbillon de fêtes somptueuses, de festins pharaoniques et de banquets féeriques, enivré de vin des Pyramides, quasi asphyxié par les lourds parfums orientaux, l’ancien lieutenant de César succomba irrémédiablement au charme de la petite reine.

Même le mariage d’Antoine avec Octavie, la propre sœur d’Octave, cette union d’un éminent intérêt politique, ces noces qui scellaient la paix de Brindisi (septembre -40) ne parvinrent pas à détourner Antoine, cette tête folle, de la fascination qu’exerçait Cléopâtre sur lui. Après quatre ans de vie commune avec Octavie, il plaqua sa femme et ses enfants légitimes et revint vers sa Cléopâtre chérie, la queue entre les jambes.
Vous pouvez imaginer qu’Octave n’apprécia que très modérément l’affront fait à sa petite sœur chérie !

Pour les vrais Romains, le comportement d’Antoine devint alors totalement incompréhensible. C’était vraiment le monde à l’envers ! Imaginez un peu : pour que sa maîtresse égyptienne lui pardonne d’avoir épousé Octavie, cet irresponsable d’Antoine ne projetait-il pas de lui abandonner, à cette pute de Cléopâtre et à ses bâtards, la presque totalité de l’Orient romain ! Et ce n’est pas tout : Après s’être rabiboché avec son impérieuse et exotique bien-aimée, le Triumvir ne s’était-il pas lancé dans une désastreuse expédition militaire contre les Parthes de Mésopotamie, sacrifiant ainsi la fleur de ses légions aux ambitions démesurées de cette enjôleuse qui rêvait – quelle folie ! – de rétablir l’empire d’Alexandre le Grand.
Quarante-huit mille fantassins et vingt mille cavaliers morts au champ d’honneur pour le joli nez de Cléopâtre… Autant dire pour des prunes ! (-37)

Bien sûr, en 34 avant J.-C., Antoine lava l’honneur des aigles romaines en infligeant une cinglante correction au roi d’Arménie, une authentique dégelée qui, par contrecoup, ramena le roi des Parthes à plus de modération. Mais hélas, l’amant de Cléo ayant réussi « le coup de génie » de transformer cette victoire militaire en désastre politique, le résultat de cette demi-victoire s’avéra encore plus nuisible qu’une défaite. En effet, Antoine choqua une fois de plus les vieux Romains traditionalistes en célébrant son triomphe à Alexandrie au lieu de rentrer à Rome pour recevoir les lauriers de la victoire des mains de ses concitoyens. « A Alexandrie, rendez-vous compte ! Dans une capitale étrangère ! Antoine voudrait transférer la gloire et la richesse de Rome sur les bords du Nil qu’il ne s’y prendrait pas autrement ! »

Comble de maladresse, sans même demander l’avis préalable du Sénat de Rome, Antoine profita de cette cérémonie illégale pour concrétiser toutes les promesses que, pour se faire pardonner son « adultère » avec Octavie, il avait inconsidérément faites à sa royale concubine.
Il démantela littéralement la partie orientale de l’Empire romain au profit des enfants de sa belle : Césarion, fils de Jules César et de Cléopâtre, bombardé du titre ronflant de « Roi des Rois », était nommé co-régent d’Égypte ; Alexandre-Hélios, fils d’Antoine et de Cléopâtre devenait, à l’âge de six ans, roi d’Arménie et de Médie ; sa sœur Cléopâtre-Séléné recevait les royaumes de la côte d’Afrique du Nord, depuis l’Ouest égyptien jusqu’à la Tunisie actuelle. Enfin, le tout jeune Ptolémée (deux ans) se voyait conférer les trônes de Phénicie, de Cilicie et de Syrie.

Octave, ravi de la tournure prise par les événements, ne rata pas l’occasion de profiter des gaffes répétées de son beau-frère et rival. Il convoqua le Sénat et lui donna lecture du testament d’Antoine, ce texte dans lequel l’amant de Cléopâtre détaillait ses donations abusives.
Les honorables Pères Conscrits, outrés d’être mis devant le fait accompli, indignés d’être traités « par-dessus la jambe », scandalisés d’être considérés comme des « béni-oui-oui » par ce général aviné devenu le pathétique pantin de sa « putain égyptienne », les Sénateurs donc, comme un seul homme, déchurent Antoine de sous ses pouvoirs « vu qu’il avait laissé une femme les exercer à sa place » et déclarèrent la guerre à cette reine d’Égypte qui humiliait tant l’orgueil national romain.

ACTIUM

Cette guerre s’annonçait difficile pour Octave. Son adversaire avait réuni en Grèce une formidable coalition. En fait, on pourrait même dire que c’était tout l’Orient qui s’était mobilisé pour barrer la route aux ambitions d’Octave. On y voyait, à la tête de leurs contingents, le roi de Maurétanie, le roi de Haute-Cilicie, le roi de Cappadoce, les rois de Paphlagonie, de Commagène, de Thrace, celui de Galatie et même un chef bédouin d’Arabie. Pour renforcer ces éléments disparates, Antoine pouvait également compter sur dix-huit légions aguerries par les campagnes contre les Parthes et sur les lourdes galères égyptiennes mises à sa disposition par sa royale concubine. De plus, avantage non négligeable, le Triumvir, qui avait la maîtrise de la mer, pouvait « jouer la montre », prendre tout son temps, utiliser l’arme du blocus, affamer Rome et susciter des rébellions contre son beau-frère Octave.

Mais, revers de la médaille, cette armada gigantesque manquait d’homogénéité. En outre, ces contingents orientaux ne valaient pas tripette. Et ces galères égyptiennes, qui étaient si peu maniables ! Jusqu’aux invincibles légionnaires romains qui avaient perdu leur mordant tant ils étaient révoltés de voir leur chef vénéré faire les quatre volontés de son impérieuse concubine. Quant au commandement, mieux valait ne pas en parler : les chefs n’étaient jamais d’accord entre eux, et il ne fallait pas compter sur Antoine, le plus souvent entre deux vins ou tout occupé à béer d’admiration devant le joli nez de Cléopâtre, pour se poser en généralissime incontesté et imposer son point de vue.

antoine

Ceci explique qu’Antoine, ses généraux et Cléopâtre en étaient encore à discutailler, à hésiter sur la tactique à adopter, à se demander s’il fallait profiter de leur avantage numérique pour porter la guerre en Italie ou s’il valait mieux attendre l’ennemi au Nord de la Grèce, quand ils apprirent qu’Octave avait traversé l’Adriatique et fonçait vers eux, tandis que, de son côté, son lieutenant Agrippa, à la tête de sa flotte, cinglait vers le promontoire d’Actium.

Selon l’option qu’allait adopter Antoine, la bataille d’Actium (2 septembre -31) serait navale ou terrestre.
Du côté de la mer, ses galères égyptiennes, bloquées au fond du golfe d’Ambracie (auj. le golfe d’Arta, au Nord-Ouest de la Grèce), et dont les équipages avaient été décimés par une épidémie, se devaient de forcer le blocus que leur imposait la flotte d’Agrippa qui croisait au large.
Sur terre, les légions d’Octave campaient au Nord de la baie tandis que celles d’Antoine occupaient la pointe méridionale et le promontoire d’Actium. On pouvait donc envisager de se retirer à l’intérieur du pays, y attirer l’infanterie d’Octave et l’écraser quand elle serait suffisamment éloignée de son soutien naval.

 

agrippa

Antoine opta d’abord pour un affrontement terrestre, au grand soulagement de ses légionnaires préférant évoluer sur « cette bonne vieille terre où ils savaient si bien mourir quand les dieux leur refusaient la victoire » plutôt que sur les traîtres flots. Mais la reine Égypte était opposée à cette stratégie : une bataille terrestre se réduirait à un affrontement romano-romain, alors que dans une bataille navale, les galères égyptiennes se couvriraient de gloire.
Preuve de l’emprise de la reine sur le faible Triumvir : un seule nuit torride lui suffit pour ébranler la résolution du général amoureux : Actium serait une bataille navale !

Ce qui est étonnant là-dedans, c’est que les historiens (même ceux qui sont favorables à la petite reine d’Égypte) blâment son rôle à la bataille d’Actium, répétant qu’elle n’agissait que par ambition personnelle. D’après eux, l’option navale que Cléopâtre préconisait à son amant était funeste : La reine, toute à son obsession de profiter de SA victoire pour accroître son emprise sur son amant et lui faire payer cash son aide militaire déterminante, n’aurait jamais tenu compte les impératifs stratégiques. Bref, « quel monstre d’ambition que Cléopâtre ! » « Comment Antoine a-t-il pu se rallier à l’avis de cette petite reine qui n’y connaissait que dalle aux choses militaires ! » « Ah, si le nez de Cléopâtre avait été moins long ! » etc, etc…

Pourtant, si l’on réfléchit un peu, on comprendra que l’avis de Cléopâtre était bien le plus raisonnable : la défaite des légions d’Octave n’aurait rien résolu puisque les débris de son armée seraient évacués par sa flotte intacte, rejoindraient l’Italie et continueraient le combat. En revanche, si l’escadre d’Agrippa était anéantie, la reddition de l’armée de terre d’Octave ne serait plus qu’une question de temps : éloignée de ses bases et dépourvue d’approvisionnements, elle était cuite, finie, liquidée avant même de combattre. Cléopâtre et Antoine n’auraient même pas besoin d’attendre la reddition de ces légions condamnées pour faire voile vers Rome dans leurs belles galères égyptiennes, y pénétrer en triomphateurs et y asseoir leur pouvoir et leur dynastie.
Dès lors, quand Cléopâtre, pour convaincre son amant, lui murmurait tendrement à l’oreille : « Une seule bataille navale et Rome est à nous », elle n’avait sans doute pas tort !

Antoine suivit donc le conseil judicieux de sa belle Cléo…
La suite des événements est archi-connue : cinéma et télé ont suffisamment popularisé l’histoire de Richard « Antoine » Burton et de Liz « Cléopâtre » Taylor.
Les navires d’Agrippa, infiniment plus maniables que ceux d’Antoine, les incendient un à un, les uns après les autres.
Les galères égyptiennes, durement prises à partie elles aussi, s’enfuient pour mettre leur petite reine à l’abri.
Désespéré de voir sa bien-aimée fuir le champ de bataille (ou le fuir lui-même ?), Antoine, déserte lui aussi ; il plaque-là ses soldats, rejoint la galère de Cléo et y subit un sérieux coup de blues.
Les soldats d’Antoine, abandonnés, découragés, vaincus, capitulent.

Octave a partie gagnée.
Il ne peut cependant poursuivre immédiatement les deux amants fuyards : une mutinerie a éclaté en Italie et sa présence est requise là-bas. Le temps de remettre ses soldats au pas, il rejoint le gros de ses forces, fonce en Égypte, rallie à lui les dernières légions d’Antoine qui, désespéré, se suicide.
Octave repousse les avances de Cléopâtre. Celle-ci, grâce à une vipère planquée dans un panier de figues fraîches, met également fin à ses jours.

Épilogue tragique : Octave fait assassiner le fils d’Antoine et Césarion, rejeton présumé de Cléopâtre et de Jules César (« Deux Césars à la fois ? C’eût été trop pour le monde ! »)

Octave est désormais seul maître de l’Empire romain (Août -30).

LE PRINCIPAT

De retour à Rome, après y avoir reçu les honneurs du triomphe (15 août -29), Octave allait définitivement asseoir son pouvoir personnel sur l’État.

Il n’osa cependant suivre la voie adoptée par son illustre père adoptif posthume Jules César et revendiquer la couronne royale. Il instaura plutôt un nouveau régime : le Principat.

Apparemment Octave respectait les formes de la République. Il prétendait rendre au Sénat (et au peuple) un rôle équivalent à celui de l’empereur dans la direction de l’État – c’est du moins ce que prétendait sa propagande ! Mais ce respect apparent du Sénat et du peuple n’était qu’une fiction ! Dans la réalité des faits, Octave réduisit constamment et consciemment le rôle du Sénat. Quant au peuple, il n’avait plus voix au chapitre depuis plus belle lurette, mais Octave le tenait malgré tout à l’œil : la délation était encouragée, institutionnalisée, érigée en méthode de gouvernement afin que personne, du plus humble plébéien au sénateur le plus cossu, n’osât murmurer contre le tout puissant chef de l’État.

Et tout-puissant Octave l’était. Plutôt deux fois qu’une !
Il concentrait entre ses mains tant de fonctions prétendument « républicaines » que l’accumulation de celles-ci lui conférait une autorité plus grande que n’importe quel monarque absolu.

En simplifiant un peu (beaucoup), voilà quelle était sa situation politique. Dès -38, Octave reçut le titre d’Imperator (dépositaire de la souveraineté et chef de guerre victorieux). Ensuite on lui décerna (en -28) le titre de Princeps Senatus (le premier à prendre la parole lors des discussions sénatoriales). En -27, on lui concéda le pouvoir proconsulaire pour dix ans (et qui furent renouvelés jusqu’à sa mort), ce qui lui conférait la haute main sur toutes les provinces de l’Empire.

Ce n’est pas encore tout ! Octave fut aussi doté de la puissance tribunitienne (celle d’un tribun du peuple) à vie. Grâce à cette fonction, sa personne devint inviolable, intouchable, sacrée. De surcroît, puisqu’il disposait d’un droit de veto perpétuel, il pouvait imposer sa volonté au Sénat. Il était aussi Préteur et Censeur, ce qui faisait de lui le chef du « pouvoir judiciaire ». Et enfin, last but not least, Octave était aussi « Pontifex maximus », c’est-à-dire que c’était lui qui présidait aux cérémonies du culte officiel romain.

C’est ainsi que, le 16 mai de l’an 27 avant J.-C., Octave, à la fois généralissime, dictateur à vie, Président de la République, guide du peuple romain, président du Parlement, super-préfet de toutes les provinces, juge suprême et pape de la religion romaine, reçut du Sénat le titre et le « cognomen » d’Augustus. Ce terme religieux consacrait la mission divine d’Octave : il signifiait quelque chose comme « noble », « sacré », ou « vénérable ». Nous en avons tiré un prénom (Auguste, comme le clown), un adjectif (le geste auguste du semeur) et un nom de mois (Août)
Tous les successeurs d’Octave Auguste (que nous appelons par facilité « Empereurs romains ») porteront cet illustre titre.

Après son coup d’état légal, Auguste, puisqu’il faut désormais l’appeler par son nom, allait encore gouverner Rome pendant plus de quarante ans (jusqu’en 14 après J.-C.).

Naturellement, il m’est impossible de détailler, dans le cadre de ces courtes notices, toutes les facettes d’un aussi long règne. D’autres sites (voir ci-dessous) le font d’ailleurs bien mieux que je ne pourrais le faire.

Quant à moi, je me contenterai d’évoquer quelques aspects du « Principat » d’Auguste , à savoir :

Auguste et la prétendue tentative de moralisation de l’Empire ;
La politique des frontières d’Auguste ;
Ses problèmes de succesion ;
Et enfin quelques mots sur un événement important du règne d’Auguste, mais qui est passé tout à fait inaperçu à l’époque : la naissance du petit Jésus.

AUGUSTE ET LA « MORALISAION DE L’EMPIRE ROMAIN »

Quand on parle de la politique intérieure d’Auguste, il se trouve toujours un érudit pour le louer de sa « tentative de moralisation d’une société romaine déjà en voie de décadence ».
Bien sûr, Auguste promulgua des lois sur le mariage et l’adultère !… Mais ces mesures avaient-elles réellement un objectif moral ?

Je m’explique : la « loi julienne sur le mariage des ordres » (en bon latin : lex Iulia de maritandis ordinibus) de 19 (ou 18) av. J.-C. rend le mariage obligatoire pour tout citoyen âgé de 25 à 60 (et pour toute femme âgée de 20 à 50). En cas de décès ou de divorce, les conjoints veufs ou séparés sont tenus de re-convoler tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge canonique.

Naturellement, des sanctions sont prévues pour les contrevenants. Et c’est là que cela devient bizarre : ce ne sont pas seulement les célibataires, mais aussi les couples sans enfants qui sont punis en n’étant plus autorisés à établir librement leur testament. En revanche, les parents de trois ou quatre enfants sont récompensés : la digne matrone prolifique acquiert la libre disposition de ses biens, tandis que la carrière politique de l’heureux père de famille nombreuse reçoit un grand coup d’accélérateur.
Une mesure destinée à freiner la dénatalité, dites-vous ?
D’accord ! Mais alors pourquoi les sanctions légales ne visent-elles que ceux qui ont un patrimoine à transmettre ou qui ont des ambitions politiques, et non pour l’ensemble de la population ?

Une autre loi d’Auguste, promulguée sensiblement à la même époque (19 -18 av. J.-C.), visait à réprimer l’adultère.
Sous peine d’être lui-même considéré comme proxénète, le mari bafoué (les problèmes des femmes cocufiées n’empêchèrent jamais de dormir les législateurs – romains ou autres !) devait impérativement poursuivre en justice son infidèle d’épouse et l’infâme suborneur. Il revenait alors au Sénat de condamner les coupables à la confiscation de leurs biens ainsi qu’à la relégation sur deux îles distinctes.
Une mesure morale ?…
Oui, mais, si vous voulez mon avis, le commun du peuple, qui ne possédait rien d’autre que ses deux grandes mains pour happer du pain des distributions publiques et sa large bouche pour l’engloutir, devait carrément s’en battre l’œil de ces confiscations et de ces exils dorés !

Non, à l’évidence, ces dispositions soi-disant « morales » d’Auguste n’avaient d’autre but que d’affaiblir le pouvoir de la classe sénatoriale, ce groupe de nantis influents qui, seuls, pouvaient encore s’opposer à l’autorité du « Princeps ». Eux seuls étaient visés par ses lois, limités dans leur capacité d’hériter ou de tester librement, freinés dans leur carrière politique, et même, à la moindre incartade d’une épouse à la cuisse trop légère, menacés d’être condamnés comme des vulgaires « macs ».

Il ne faut pas perdre de vue non plus qu’Octave Auguste n’était pas issu de la noblesse. Même si sa mère était d’origine noble, son père n’était que ce qu’on appellerait aujourd’hui un « bon bourgeois ». Il n’avait donc aucune affinité naturelle avec les nobles, ni aucun souci de ménager leurs privilèges, surtout s’ils portaient ombrage à ses ambitions personnelles. D’ailleurs, ses mœurs quelque peu rustiques choqueront toujours les Patriciens raffinés qui le côtoyaient, et en particulier son beau-fils, le futur empereur Tibère, très fier, quant à lui, de ses origines aristocratiques. Ajoutez à cela les méthodes souvent sournoises du personnage, et vous aurez l’explication de bien des lois prétendument « morales » de ce chafouin d’Auguste. (Voir Thomas Späth, Les Bébés de l’empereur Auguste, L’Histoire n° 123 – juin 1989)

AUGUSTE ET LA « POLITIQUE DES TROIS FLEUVES »

On a coutume de considérer Auguste comme un souverain pacifique, plus soucieux de consolider les anciens acquis territoriaux que de réaliser de nouvelles conquêtes.

C’est à la fois vrai et faux.

Il est vrai qu’après son triomphe de 29 avant J.-C., Auguste, qui voulait manifester à grand fracas l’instauration d’une ère de paix, fit fermer les « Portes de la Guerre » (en réalité celles du Temple de Janus) qui étaient restées ouvertes depuis plus de 200 ans. Pourtant, malgré cette cérémonie tapageuse, destinée surtout à la propagande, le moins que l’on puisse dire c’est que, tout au long de son règne, les légions romaines ne chômèrent pas : chaque année que Jupiter fit vit son lot d’expéditions militaires.

Car Auguste, malgré sa volonté d’apparaître comme un souverain pacifique et bienveillant, veilla particulièrement à « pacifier » certaines provinces, celles récemment conquises ou celles qui rechignaient à accepter les « bienfaits » de la civilisation romaine (et surtout les agents du fisc qui les accompagnaient). Or, cette « romanisation » ne put bien souvent se réaliser qu’au prix de campagnes militaires longues et sanglantes. Par exemple, il fallut huit ans pour « pacifier » l’Espagne (de -27 à -19).

D’autre part, la « consolidation » des anciennes conquêtes passait par la soumission de nouveaux territoires, l’Anschluss de toute une série de pays non encore soumis. Par exemple, le maintien des Gaules dans le giron de l’Empire nécessitait le contrôle de tout l’arc alpin, donc la conquête de ce qui correspond aujourd’hui à la Suisse, à l’Autriche, à la Slovénie, et au Nord de la Croatie. Ce ne sont pas là de minces acquisitions, loin de là !

En fait, Auguste nourrissait un grand projet de rationalisation de la conquête romaine. Il voulait doter l’Empire de frontières naturelles… Et pas n’importe lesquelles : celles qui seraient les plus aisées à défendre ! C’est ce qu’on a appelé la « Politique des trois fleuves ».

En Orient, outre le fait qu’Auguste, après la défaite d’Antoine et Cléopâtre, s’était approprié l’Égypte et ses immenses richesses, l’empereur était parvenu à un accord avec le roi des Parthes pour fixer les limites de la zone d’influence de Rome à la vallée du Haut-Euphrate, où les Romains gardaient quelques postes avancés, et à l’Arménie, où un prince parthe régnerait sous une vague tutelle romaine.

En Occident en revanche, c’était plus compliqué !
La frontière naturelle la plus logique (et la plus sûre) devait longer l’Elbe, de son embouchure en mer du Nord jusqu’à sa source, puis elle devait emprunter la ligne de crête des monts de Bohème (le Quadrilatère bohémien) et rejoindre le Danube, longeant le fleuve jusqu’à la Mer Noire.
Inutile de dire quel effort militaire gigantesque réclamait la réalisation d’un tel projet !
Bien sûr, les peuplades riveraines du Danube se soumirent sans trop de difficultés au pouvoir de Rome (exception faite d’un très dangereux soulèvement difficilement réprimé par Tibère entre 6 et 9 ap. J.-C.), mais il n’en alla pas de même des tribus germaniques, autrement coriaces, qui peuplaient le pays entre le Rhin et Elbe. Extrêmement jalouses de leur indépendance, elles avaient déjà résisté victorieusement au grand Jules César, c’est tout dire !

Pourtant les généraux d’Auguste, en particulier Drusus, Tibère (le futur empereur) et, plus tard Germanicus, parvirent presque à soumettre ces peuples sauvages. À la fin de la première décennie de notre ère, les légions romaines campaient au bord de l’Elbe, franchissant même sporadiquement ce fleuve, histoire de donner de salutaires avertissements de prudence aux peuplades insoumises de l’autre rive. (Voir carte des conquêtes d’Auguste en Occident).

Malheureusement pour Rome, une défaite inattendue vint tout compromettre : en 9 après J.-C., les trois légions de Varus furent exterminées dans la forêt de Teutoburg par une coalition de tribus germaniques dirigée par Arminius. (Sur la défaite de Varus, voyez, sur le site Peplum – images de l’Antiquité : Clic !)

À Rome, l’émotion fut extrêmement vive. Tout le monde se lamentait ! Quant au vieil Auguste, même s’il n’alla sans doute pas jusqu’à arpenter les salles de son palais en hurlant le cri aussi absurde que désespéré que lui prête la tradition (« Varus, Varus, rends-moi mes légions ! »), il se laissa néanmoins pousser les cheveux et la barbe en signe de deuil, puis jeûna chaque année le jour anniversaire de cette défaite.

Tout limité qu’il fut, l’échec de Varus c’était aussi celui de la politique d’expansion. En Occident, Rome avait atteint ses limites, et le vieux Princeps venait subitement d’en prendre conscience.
Bien sûr, ce revers, quoique grave, n’était pas catastrophique ! Bien sûr, le futur empereur Tibère et son neveu Germanicus allaient s’employer, dans les années qui suivirent, à laver l’honneur patriotique romain dans des flots de sang germanique ! Mais il n’en restait pas moins que, dans les marches septentrionales de l’Empire, le mythe de l’invincibilité des légions romaines avait été irrémédiablement battu en brêche. Les tribus germaniques étaient, et resteraient, décidément rétives à toute romanisation.

Auguste, sur le conseil de son beau-fils Tibère, se résolut alors à tirer les pénibles conclusions qui s’imposaient. La mort dans l’âme, il renonça à la frontière de l’Elbe pour la reporter plus à l’Ouest, sur le Rhin. (Voir carte des conquêtes d’Auguste en Occident)

Évidemment, cette frontière naturelle de raccroc n’avait pas les avantages de celle de l’Elbe, celle qu’il avait d’abord projetée. Elle était beaucoup plus longue et plus difficilement défendable car, entre la vallée du Rhin et celle du Haut-Danube, s’étendait une vaste région dépourvue d’obstacles naturels. On pouvait certes verrouiller ce passage par un réseau de fortifications – des générations d’empereurs romains allaient d’ailleurs s’y employer – mais ce « ventre mou de l’Empire romain », cette plaine allemande entre Rhin et Danuble, ce no man’s land entre civilisation et barbarie, bref ce que l’on appellerait le « limes germanique », resterait toujours une épine au flanc de Rome, un véritable boulevard pour les invasions futures !

LA SUCCESSION D’AUGUSTE

Je l’ai signalé plus haut : après son mariage avec Livie et après s’être emparé du pouvoir absolu, Auguste « s’humanisa » considérablement. Le monstre froid et hypocrite fit progressivement place à un personnage affable et bienveillant, aussi modeste par sa vêture que dans ses propos, et surtout doté d’une vertu éminemment romaine : l’esprit de famille.

Mais tragédie ! Sa famille directe se réduisait à bien peu de chose. Son mariage avec Livie, la femme de sa vie, était resté désespérément stérile. Il n’avait qu’une fille pour héritière, la trop fameuse Julie, fruit de ses noces éphémères (et purement politiques) avec Scribonia.
Auguste reporta donc son affection et ses espoirs dynastiques, d’une part et en priorité, sur son neveu Marcellus et, à titre subsidiaire sur les enfants nés du premier mariage de chère Livie (donc ses beaux-fils), Tibère et, surtout, Drusus.

Dans la course à la succession d’Auguste, ce fut d’abord Marcellus, fils du premier mariage d’Octavie (la petite sœur chérie du Princeps), qui tint la corde. À peine fut-il pubère qu’Auguste le maria à sa fille Julie, elle-même âgée de 14 ans seulement. Marcellus, neveu et gendre du Princeps, devenait l’héritier présomptif du « Principat ».

Pas pour longtemps.
En 23 (av. J.-C.), Auguste tomba gravement malade. Comme Marcellus était encore bien trop tendre pour assumer le fardeau de l’Empire, le Princeps tendit son sceau privé à son intime et immutable ami Agrippa.
Certes, Auguste se remit bien vite, mais Agrippa conserva son rang de deuxième personnage de l’État. On ne sait trop si Marcellus eut le temps de s’indigner de cette nomination car il mourut en automne de cette même année -23. Il n’avait pas vingt ans.
La mort de Marcellus n’avait pas que des mauvais côtés : elle « libérait » Julie, sa jeune veuve, qui était aussi, on s’en souvient, la fille unique de l’Imperator. Celle-ci n’eut pas le loisir de pleurer bien longtemps son défunt mari : Auguste la « recasa » dare-dare au pauvre Agrippa, confortant de ce fait ses droits à la succession impériale.

julie

Faute d’être heureux, ce mariage, purement politique, fut prolifique : cinq enfants en naquirent, dont deux fils, Caius César et Lucius César.
Auguste fut positivement ravi : enfin des mâles de son sang, des rejetons de sa race ! Sa gamine Julie lui avait enfin donné les fils que sa chère Livie lui avait refusés ! Au comble de la joie, il conforta son gendre Agrippa dans ses fonctions de co-régent de l’Empire et adopta alors ses petits-fils.
Évidemment, on ne peut pas dire que cette adoption était de nature à simplifier l’arbre généalogique de la famille Julio-Claudienne : grâce à elle, les petits Caius et Lucius devenaient frangins de leur mère et beaux-frères de leur père !

Mais complication ou non, la succession d’Auguste semblait réglée : en cas de décès inopiné du Princeps, ce serait Agrippa, homme d’âge mûr, expérimenté, capable et, qui plus est, lié à la famille impériale, qui reprendrait le flambeau pour, plus tard, le transmettre, intact, aux héritiers directs et légitimes d’Auguste.

La mort d’Agrippa (12 av. J.-C.) vint ruiner ce beau scénario. À nouveau Auguste dut se mettre en quête, à la fois d’un nouveau mari pour Julie, et d’un tuteur pour les deux héritiers du trône.
Il ne chercha pas bien loin ! Ce au tour de son beau-fils Tibère (fils aînée de Livie) de « se taper » Julie et d’assurer l’intérim pour Caius et Lucius César, qui restaient les héritiers désignés du trône. Le fait que Tibère fût déjà marié, qu’il aimât tendrement son épouse Vipsania et qu’il n’éprouvât aucune inclination pour cette Julie déjà fort défraîchie, n’entra pas en ligne de compte ! De par la volonté du tout-puissant Princeps, Tibère, démarié et remarié a toute berzingue, fut désormais contraint de jouer – et à double titre – le rôle ridicule du triste cocu : malgré toutes ses qualités, on ne lui demandait rien d’autre que de préserver les intérêts d’enfants qui lui étaient étrangers, ainsi que servir de caution aux frasques d’une épouse dont l’inconduite parvenait même à scandaliser les plus débauchés des Romains, c’est tout dire !

Heureusement pour Tibère, la mort frappa encore, fauchant successivement les deux jeunes Caius et Lucius César (2 et 4 ap. J.-C.)

Auguste fut alors bien obligé d’enfin récompenser les mérites de son beau-fils Tibère. Celui-ci fut l’associé au pouvoir et devint ainsi le deuxième personnage de l’Empire. Pourtant, même s’il reconnaissait sa valeur, le vieux Princeps n’appréciait guère son beau-fils. Il obligea donc Tibère à adopter son neveu Germanicus (fils de son frère cadet Drusus – Voir Tableau généalogique). Vu l’âge de Tibère (46 ans) au moment de sa promotion, Auguste pensait qu’il ne serait qu’un « empereur de transition ». Après son règne, qu’il espérait le plus bref possible, le trône impérial serait dévolu à Germanicus et à ses descendants.

LA DATE DE NAISSANCE DU PETIT JÉSUS

C’est sans doute sous le règne d’Auguste à Rome et, en Judée, sous celui d’Hérode le Grand que naquit ce petit Jésus qui allait se faire un certain nom dans l’Histoire.

Depuis, la date de cet événement fait l’objet d’âpres – et stériles – débats. La plupart des historiens le situent en 6 ou 4 av. J.-C…. Pourquoi précisément ces deux dates ? De quels renseignements précis disposons-nous pour situer la date de naissance de Jésus ?

À vrai dire, cela se réduit à bien peu de chose :

L’évangéliste Matthieu fait naître Jésus « à Bethléem, en Judée, au temps du roi Hérode » (Matth., 2 : 1).
Or, Hérode le Grand régna de 40 à 4 av. J.-C. et Jésus naquit donc dans les dernières de son règne. Mais c’est quoi, les dernières années d’un règne de près de quarante ans ? Un, deux, cinq, dix ans ?

christ

Pour l’évangéliste Luc (que la tradition nous présente pourtant comme un bon médecin), la pauvre petite Marie, mère du Christ, aurait impavidement enduré une grossesse d’au moins dix ans. En effet, d’après lui, c’est « au temps d’Hérode, roi de Judée » (donc toujours entre 40 et 4 avant J.-C.) que Marie se trouve enceinte et s’en va rendre visite à sa cousine Élisabeth qui, elle-même, attend Jean-Baptiste depuis six mois (Luc, 1). Or, notre évangéliste Luc ne fait naître Jésus à Bethléem qu’au moment d’un recensement qui effectué « quand Quirinus était gouverneur de Syrie », c’est-à-dire en 6 après J.-C. Marie, enceinte en 4 avant J.-C. (au plus tôt) n’aurait accouché que dix ans après ! Battues sur toute la ligne, les éléphantes !
Voilà sans doute pourquoi certaines Bibles chrétiennes, pour se dépatouiller de cette contradiction absurde, n’ont pas craint de modifier (sur quelle base ?) le texte de saint Luc, lui faisant dorénavant et opportunément signaler que « ce recensement eut lieu avant le gouvernement de Quirinus en Syrie ». Ouf, Marie a eu chaud !
D’autres exégètes chrétiens, qui ne disposaient sans doute pas encore de cette version si opportunément réaménagée, ont, quant à eux, déniché un Quirinus (le même ? un autre ?) qui aurait été légat en Orient dans les années 11 et 10 avant J.-C. Selon eux, le brave saint Luc (qui était Grec, que voulez-vous ?) se serait glorieusement emmêlé les pinceaux, faisant une immense macédoine avec tous ces noms romains, avec tous ces titres romains relatifs à des gouverneurs romains ! Quant à savoir ce que devient le recensement de Quirinus de l’an 6 après J.-C. avec cet autre (ou ce même) Quirinus qui vivait en Orient plus de seize ans auparavant, mystère et boule de gomme !
Ni l’évangéliste Marc ni Jean ne disent mot de la naissance de Jésus. Quand on ne dit rien, on ne risque pas de se tromper !
Luc (encore lui) prétend que Jésus commença sa prédication à l’âge de 30 ans (« il avait environ trente ans quand il commença son œuvre ». Luc, 3 : 23), mais Jean, lui, le montre plus proche de la cinquantaine : « Tu n’as pas encore cinquante ans et tu as vu Abraham ! », lui rétorquent ces maudits Pharisiens (Jean 8 : 57). Apostropheraient-ils ainsi un jeune homme âgé d’à peine trente ans ? Dès lors, selon ce témoignage, si Jésus, qui n’avait « pas encore cinquante ans », prêchait effectivement dans les années 30-34 de Son ère, il serait né au plus tôt, vers 10 avant Lui-Même.
Commentant ce passage de Jean (8 : 57), Saint Irénée, l’un des premiers « Pères de l’Église » et le dernier auditeur des « Pères apostoliques » (ce qui veut dire qu’il avait suivi les enseignements des saints hommes qui avaient connu les apôtres), confirme que Jésus « est mort proche de la cinquantaine et touchant à la vieillesse » (Cont. Heres., II, 22 : 6). Dans ce cas, tout l’Évangile de Luc, avec son Jésus qui naît vers l’an 6, nous décrirait les activités d’un fort joli vieillard de 25-30 ans ! Un peu jeunot, le vénérable « rabbi » Jésus « selon saint Luc » !

Tout cela fait quelque peu désordre !… Pourtant, si, l’on excepte le témoignage isolé (Testis unus, testis nullus) et contradictoire de Luc, tous les autres indices semblent indiquer une date probable de naissance de Jésus qui se situerait plutôt aux environs de 10 avant J.-C. que vers -6 ou -4.

Quant à moi je pencherais plutôt pour l’an 9 avant J.-C., mais les raisons qui me poussent à opter pour cette date sont si bizarroïdes qu’il serait vraiment oiseux de les développer ici.